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Hear us marching up slowly

27 Jan - 25 Fév 2012
Vernissage le 26 Jan 2012

Dorothée Smith explore la question du genre et du transgenre. Dans ses photographies et ses vidéos, une sorte d’expression climatique vient faire vaciller la dichotomie masculin-féminin. Bleutés translucides, postures corporelles de spleen ou de suavité sont autant de signes évocateurs d’un monde tiraillé entre l’Eden et le désenchantement.

Dorothée Smith
Hear us marching up slowly

Dorothée Smith n’en fait pas mystère : son approche du visible, luministe et sombre à la fois, vaut comme image de l’incertitude des rôles sexués. La question du genre, thématisée depuis plus de vingt ans par la philosophie (en premier lieu par l’Américaine Judith Butler) tient une place non négligeable dans l’élaboration intellectuelle de son œuvre.

Mais comme tous les artistes authentiques et par-delà les enjeux du gender, Dorothée Smith se livre d’abord à l’exploration d’un univers formel. Certains ont pu repérer dans ses images un écho de la peinture de la Renaissance, d’autres une veine romantique. De quoi s’agit-il ? D’une gravité propre à la peinture de portrait florentine, ou des paysages parfois crépusculaires de ses arrière-plans ? Ou bien de la ferveur ombrageuse d’un peintre allemand comme Caspar David Friedrich : un fragment de paysage de la série Löyly ne contient-il pas une sorte de réplique en miniature de tel de ses pics enneigés ? S’il fallait tenter un rapprochement qui rendrait mieux justice à la qualité presque piétiste de cette série (sensible souvent dans d’autres ensembles comme Sub Limis ou Spree), je pourrais songer, non sans risque, à l’univers du peintre danois Vilhelm Hammershøï. Chez lui, un personnage sagement immobile, debout dans un intérieur où bruit le silence, une femme nue assise ou simplement quelques losanges de lumière posés par le soleil dans une chambre, suffisent à transmettre une spiritualité sans embarras. On y retrouvera peut-être l’austérité de vitrail de quelque église luthérienne de Scandinavie. Il y a chez Dorothée Smith un tropisme « nordique », et un autre vers l’Europe centrale.
[…]
L’œuvre est profondément enracinée dans son temps. Dans son monde parfois traversé par une certaine violence, les visages d’une douceur inexprimable, les yeux perdus, les corps lovés ou offerts dans les mirages d’une chaude intimité, les tiédeurs de banquise sublimée en haleine et les horizons sans vie sont polarisés, comme des aurores magnétiques, par le nouveau mode de défi lancé à la séparation des sexes par le monde actuel. Il s’agit moins ici de métaphores que de métamorphoses. Cette remise en cause, souvent perceptible dans les physionomies, semble trouver dans ces scènes de nature où l’eau, la glace et la vapeur jouent de leur mutabilité, une sorte d’expression climatique, littéralement comme si les points de congélation ou de surfusion faisaient office d’acteurs conceptuels de la dichotomie masculin-féminin devenue vacillante.

Pourtant, une fois encore, une intelligence de l’image est ici au travail. Ces photographies ne sont pas des idées grimées en formes plastiques. Elles ménagent des rencontres entre des états inconstants de la substance et cette sorte de mélancolie que porte avec elle toute utopie.

Le « contenu social » de ces œuvres n’est pas celui de telle « minorité ». Certes, il présente des valences politiques manifestes : celle de l’identité de genre comme contrainte imposée par la condition biologique du « sexe » (être homme ou femme) ; celle d’un idéal de pleine adhésion à soi-même, capable de surmonter cette servitude par une autre affirmation (se sentir homme ou femme). Mais ce mouvement d’assomption semble s’accompagner d’une ombre existentielle. Pour notre conception de la conscience, chacun d’entre nous ne doit-il pas être à ses yeux, en partie, un inconnu ? Rivé à l’affirmation de soi, l’individu n’est-il pas précisément exposé à la nostalgie d’une distance à lui-même, et celui ou celle qui relèvent du queer, dans leur écart vis-à-vis de la norme, font-ils autre chose que poser de manière plus cruciale que les autres cette question de l’être et du saisissement de soi par soi, qui vaut pour la condition humaine en général ?

Arnaud Claass, Löyly & Sub Limis, monographie, Château d’Eau Editions, 2011.

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