Les installations de Haim Steinbach forment des ensembles d’objets hétéroclites et rapprochés par l’artiste de manière totalement réfléchie. Si le ready-made pourrait être une des racines de son travail ou la présentation d’objets façon Oldenburg l’une des clés d’entrée dans son univers, l’essentiel de sa pensée se développe ailleurs. Probablement dans l’impact de la rencontre de ces objets, leur frottement idéologique et culturel. Dans le discours qu’ils annoncent, dans la stimulation intellectuelle qu’ils suggèrent.
Pour mettre en scène ces objets, Haim Steinbach utilise des étagères en bois par moment recouvert d’une couche mélaminée colorée, noire ou rouge: une manière d’accentuer leur familiarité avec les rangées de bibelots qui désignent les intérieurs domestiques modernes. Et surtout de laisser planer le doute quant à leur destination.
Objets usuels, objets d’art, fétiches? Des objets métonymiques avant tout auxquels Haim Steinbach confie une charge symbolique. C’est-à -dire aussi bien culturelle qu’affective.
Car finalement ces objets qualifiants, ces tropes pourrait-on dire, Steinbach en fait des «animaux de compagnie» (Pets, en anglais). Des accessoires de vie, des propriétés privées, des cœurs palpitants de l’identité individuelle et pourtant si couramment partagée. Le lapin, le masque de Spiderman, le poussin en plastique, les boîtes de céréales pour peupler nos imaginaires et nos caractères.
La force de Haim Steinbach, nous l’avons dit, c’est de les immerger dans le bain d’une mise en scène propice au dialogue. Le poussin accompagné d’une urne, un hibou trônant près d’une lourde chaîne métallique par exemple. Pour accompagner chacun de ces ensembles, Haim Steinbach place un jouet en plastique pour chien appelé «Kong». Une autre voie d’accès pour s’approcher des «Pets», cet objet aux formes rondes et ouvert à l’une des extrémités est censé recevoir du miel que l’animal tentera en vain de lécher (l’ouverture est trop étroite mais le jeu garanti).
Mais au-delà , la forme du «Kong» évoque également la Ziggourat Mésopotamienne, icône des civilisations modernes et témoignage des premiers langages écrits. Voilà le type de passerelles que Haim Steinbach entretient. Avec lui, le dialogue produit un récit à longueurs variables: rétrécit pour une identification immédiate, étirer à l’infini pour que l’Histoire s’y invite.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant pour un producteur de sens et de métonymie tel que Haim Steinbach, de convier la Ziggourat dans ses «Pets»: la fameuse Tour de Babel et ses multiples langages en est l’une d’elle.
Chez Aaron Young, l’impact de l’œuvre naît d’une forme de décharge sensuelle et radicale. La vitesse, l’explosion, le spectaculaire rythment ses pièces, qu’elles soient de l’ordre de l’installation ou du tableau.
Cette partition électrique tire sa substance d’une certaine posture face à l’œuvre. Ce que montre Aaron Young n’est souvent que le résultat d’un travail plus dense, le témoignage d’une action qui a engagé, d’une manière ou d’une autre, le corps de l’artiste, voire éventuellement celui du spectateur.
Pour sa première exposition personnelle en France, l’Américain montre trois types de pièces illustrant à merveille ses champs d’investigation: les Explosion Paintings, les Moto Paintings et l’une de ses Crushed.
Les Explosion se révèlent quand la lumière s’estompe. Ce que suggéraient à peine les tableaux sous les spots allumés saute littéralement aux yeux une fois la salle tombée dans l’obscurité. Une sérigraphie phosphorescente reprenant les masses des champignons nucléaires. Quatre tableaux pour autant d’essais et de tragédies latentes. Aaron Young laisse ostensiblement le générateur électrique à la vue de tous, à portée de main de tous également (si ce n’est l’interdiction d’y toucher) comme une forme de mise en abîme de la situation.
La tabula rasa pratiquée chez Aaron Young plante le décor de son rapport à l’œuvre. La déconstruction, la rupture, le moment de l’accident traduisent sa volonté d’explorer de nouvelles formes et de nouvelles esthétiques de la beauté. Dans le diptyque des Moto Paintings, c’est la trajectoire d’une moto sur un tapis caoutchouc qui détermine la sinuosité des branches colorées. Le patinage des roues passées dans la couleur brûle le tracé, la gomme vient s’agréger au support, la surface reçoit cette agression et en retourne au regard une palette sombre, sauvage, scandée par des éclairs colorés d’une étonnante intensité.
Le rodéo orchestré par Aaron Young a d’autres descendances qu’un simple acte artistique: au-delà de la performance, c’est aussi l’expression d’une certaine image de l’Amérique, les vertus du «Born to be wild» qu’il rejoue ici.
L’immédiateté de son œuvre n’est qu’un leurre. Derrière la mise en scène, il met en place une rhétorique de la transgression. Son Tumbleweed (Crushed Fence), une barrière grillagée littéralement pliée et ramassée, pourrait être l’image libertaire par excellence. Mais Young la fige en la recouvrant d’une couche d’or 24 carats. De quoi brouiller les cartes. De quoi irriguer à nouveau son travail de cette sensualité qui lui colle à la peau.
Haim Steinbach
— Froot Loops 2, 2008. Etagère en bois stratifié, deux jouets pour chien en caoutchouc, 3 boîtes de céréales « Froot Loops ». 71,8 x 157,5 x 34,3 cm. Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles
— Spider Kong 2B, 2008. Etagère en bois stratifié, jouet pour chien en caoutchouc, seau Spiderman en plastique.67,3 x 63,5 x 38,1 cm.
Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles
— Untitled (dog chew, chain, scarecrow) 4, 2008. Plastic laminated wood shelf; 2 rubber dog chews; plastic chain; plastic owl. 109,2 x 185,4 x 53,3 cm. Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles
Aaron Young
— Tumbleweed (Crushed Fence), 2009. Barrière en acier plaquée or 24 carats. 66 x 92 x 84 cm. Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles
— Arc Light (Moscow Diptych), 2008. Huile, caoutchouc, acrylique sur aluminium, 200 x 300 cm.
Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles
— How Many Wops Does It Take To…?, 2008. Sérigraphie sur toile, 190,5 x 241 cm.
Courtesy Galerie Almine Rech, Paris-Bruxelles