Il est des expositions qui comblent le visiteur par leur austérité manifeste, par l’évidence de leur beauté nue. Il en est d’autres qui le comblent par l’hilarité qu’elles déclenchent et la malice de leur propos. C’est cette dernière version que nous propose Almine Rech pour cette rentrée hivernale avec la farce déjantée façon Gavin Turk.
C’est ce dernier qui occupe la salle principale. Le titre de l’exposition donne le ton général. Gavin Turk rieur, blagueur et farceur. Très à l’aise dans l’espace de la galerie, il dispose ses pièces dans un même souffle d’une ironie ravageuse et mordante.
L’entrée sonne comme un retour aux origines. Le visiteur fait face à un œuf blanc géant posé sur trois tranches de bois brut. Cet œuf a beau jouer la démesure, il n’en reste pas moins d’une fragilité presque déconcertante : en lieu et place de la coquille, Gavin Turk a greffé les poils soyeux d’une peluche, aussi douce et confortable qu’un nid.
Inversion des genres, objets à double emploi : les œuvres de l’Anglais sont de nature à provoquer l’incidence. Comme ici, une chimère, ou ailleurs un pas franchi vers l’interdit : sur un socle blanc, l’artiste a posé une sculpture minuscule, le «fac-similé», disons, d’un trognon de pomme. A quoi fait-il référence? A Adam et Eve, à l’exclusion du paradis. Dans l’iconographie religieuse, Eve se voit proposer la pomme ou bien alors elle la croque simplement. Chez Gavin Turk, du fruit, il ne reste plus rien si ce n’est un trognon renfrogné à l’état de dégradation avancée. L’artiste s’amuse de ces interdits. Pire, il en franchit allégrement les barrières, comme il se libère des entraves de la morale et du patrimoine culturel occidental.
C’est ce dont témoigne le tableau à proximité. Des rayures bleues à l’horizontal un peu maladroites font penser à un étendard fatigué qui alimenterait un slogan lui-même un peu fané. La religion de la démocratie serait-elle donc visée, aurait-elle perdu des plumes? Faut-il voir dans ce petit tableau, qui a retenu les rayures mais oublié les étoiles, la fin d’un cycle historique et le début d’une hégémonie américaine aveugle et sans partage? Ou bien faut-il voir derrière cet ouvrage artisanal la fin d’une utopie locale au profit d’un système beaucoup plus expansif et mondialisé?
Gavin Turk suit le courant de la mondialisation mais avec ses propres armes, forcément un peu caustiques et dérisoires. Au mur de la galerie, il a accroché une enseigne de magasin qui porte son nom, mais le tout fait référence à un style et une pratique très datés. L’écriteau en bois, le lettrage appliqué glacent quelque peu l’élan libéral. C’est aussi une manière de boucher la vue à l’avant-garde et à sa manie de la table rase. Turk leur oppose la permanence sans pour autant construire une œuvre commémorative.
Au contraire. Il fait rejouer les objets les plus anodins, non pas pour les faire exister en tant que souvenirs mais pour contredire des situations, des formules ou des pensées trop facilement admises. Et l’humour comme une bouée de survie sert son discours. Car finalement, tout cela est-il bien sérieux? L’automate dans la cage en verre, marin breton et ivrogne notoire qui rit à gorge déployée, en a déjà tiré toutes les conclusions qui s’imposaient.