Dès l’abord de l’exposition, Guillaume Pinard donne le ton avec un wall-painting noir se déployant telle la grande projection achrome et explosive d’un volcan horizontal.
Jouant avec l’effet physique de la profondeur — suggérée par la progression lumineuse du blanc immaculé du mur vers la pénombre grasse du corps de l’objet figuré, et amplifiée par les passages concentriques de feutre —, autant qu’avec l’effet mental de planéité et d’abstraction, le dessin surdimensionné semble flotter dans sa célérité propre, isolé sur un pan de mur devenu feuille de papier gigantesque.
Cristallisation d’un jeu sur la dilatation de l’espace même de la galerie, ainsi que de la spontanéité du dessin et de son pouvoir de créer mouvements et déchirements débordant le champ d’action même de son support.
Que ce soit sur du papier ou au travers de procédés numériques, le travail de Guillaume Pinard s’articule autour du dessin comme champ d’expression de sa mythologie personnelle.
Il prend ici de la distance avec Con-Con, son personnage fétiche à l’apparence enfantine mais aux pratiques aussi perverses que naïves dont ses expositions précédentes retraçaient les pérégrinations. Tout en conservant le côté inquiétant d’un monde aux apparences trompeuses, l’artiste nous emmène vers un répertoire de visions oniriques comme autant de points de départ possibles à d’hypothétiques fictions.
En cela la série de dessins au bic sur feuilles blanches libres s’affiche comme autant de propositions : une voiture lancée à pleine vitesse fend l’air et semble vouloir pénétrer notre espace, un guépard tétracéphale et flou ne sait quelle direction prendre, une guitare explosant sous les notes génère un tourbillon électrique…
Sur une double page de cahier d’écolier, support lui aussi fétiche de Guillaume Pinard, une forme organique moussue entre l’éponge naturelle et la perruque afro, enfle, figurant la circulation dynamique de sa main — et de son esprit — en un véritable fantasme pictural.
Son nouveau film d’animation : Provisional End, est un conte de fées contemporain, hallucinatoire et déjanté, sans narration structurante et réductrice. Avec ses contours lisses, son esthétique enfantine, il met en scène une mouche fornicatrice enfourchant sa moto et une cigogne à casquette, évoluant dans une troisième dimension sous le contrôle d’un encéphale despotique.
Cet univers inquiétant pourrait être un anti-manga tant les dérapages des personnages nous montrent leur cruauté cauchemardesque, nous renvoyant cette fois à des traumatismes bien adultes.
Dans ce théâtre psychique, un non-sens surréaliste règne en maître, donnant corps à une fantaisie et une absurdité faisant parfois écho à la théorie de «l’idiotie» comme mode de consommation du réel soulevée par Jean-Yves Jouannais.
Enfin, avec la familiarité au lieu naît un sentiment de confort visuel émanant de l’homogénéité des pièces présentées.
En effet, une mise en abîme transversale permet de comprendre que fresque, projection, dessins, sculptures et boucle animée rythmés par un mouvement dynamique perpétuel se meuvent sur une même trame matérialisée par la non-couleur blanche et forment de ce fait un seul et même corps polymorphe.
L’art jouissif et subversif de Guillaume Pinard nourri de rêves comme de cauchemars procède d’une poésie des contraires, faisant avancer la sempiternelle exploration de l’Art et de ses limites.
Guillaume Pinard
— Araignée, 2006. Dessin. Stylo noir sur papier. 21,5 x 33,5 cm.
— Cuillère, 2006. Dessin. Stylo noir sur papier. 21,5 x 33,5 cm.
— Femme, 2006. Dessin. Stylo noir sur papier. 21,5 x 33,5 cm.
— Homme, 2006. Dessin. Stylo noir sur papier. 21,5 x 33,5 cm.
— Nuage, 2006. Dessin. Stylo noir sur papier. 21,5 x 33,5 cm.