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Guillaume Mary

Guillaume Mary peint des sujets très massifs — une maison, un pont ou un silo à grain — de façon très légère et aérée. Il pratique l’acrylique mais aussi l’huile. Il construit des choses qu’il ne veut pas appeler sculptures.

Propos recueillis par Nicola Marian Taylor

Tu peins des sujets très massifs — une maison, un pont ou un silo à grain — de façon très légère et aérée.
Il faut trouver un moteur pour peindre. Le Pont, par exemple, me donne le motif pour faire des choses qui m’intéressent. Ici, je joue avec la perspective et avec le proche et le loin. J’aime peindre quelque chose de dense, massif de façon fragile qui tend vers la disparition.

Le sujet de départ est un prétexte pour la peinture?
En partie, oui. En l’occurrence, ça raconte aussi un lieu par lequel je suis passé, ou bien un mélange de deux lieux. Quand j’ai commencé la maquette de Pont (2006), j’avais l’impression de traverser quelque chose de mon histoire personnelle. Au premier abord, on peut voir un pont très simplifié, mais cela peut aussi amener à une lecture plus complexe.

Tu commences donc par une esquisse, la «maquette» comme tu dis…
Oui, je la réalise à la peinture sur un petit panneau en bois de 17 cm de côté. Je peux l’effacer avec un chiffon comme une ardoise d’écolier. C’est là que ça vient et ça repart. Ou ça m’échappe. Parfois un motif me vient du premier coup, mais ce n’est pas toujours le cas…
Quand je commence une toile, la structure est prête. Mais la maquette sur bois, elle, m’échappe complètement. Je ne sais pas forcément ce que je vais faire au début, ni où je vais aller. La maquette est devenue une étape vraiment importante, centrale, du travail. C’est comme un dictionnaire. Un dictionnaire de motifs, de sujets.

Comment choisis-tu le motif?
Je reconnais tout de suite si je vais en faire une toile. Il y a souvent le thème du déplacement, comme le bateau, l’allée ou la traversée. Aujourd’hui je suis attiré par la frontière. Demain, ça sera autre chose.
Le motif que je retiens, je le reconnais. Je m’y situe presque physiquement. Ça me rappelle un endroit. Mais, pas seulement. Ça peut avoir un sens à plusieurs niveaux. Concerner mon histoire, être quelque chose de presque symbolique ou psychologique, comme le Pont ou La Traversée. Pour les silos à grain, il n’y a rien au-delà du motif, c’est juste le motif qui m’impressionne.

Tu titres ton travail. Le sujet reste donc important.
Aujourd’hui je titre mes travaux, alors qu’auparavant je ne le faisais pas. Je ne nommais pas ce que je peignais. Maintenant j’introduis par le titre une direction, comme dans La Traversée (2006) que l’on pourrait prendre pour une terrasse. J’introduis le thème du déplacement par le titre.

Tu travailles avec de l’acrylique ou de l’huile?
Les deux. J’emploie l’acrylique surtout pour le blanc, pour qu’il ne jaunisse pas. Sinon j’utilise beaucoup l’huile. Dans le Pont, tout le fond est en acrylique.
C’est rare que je couvre entièrement la toile. C’est pourquoi je ne me sers pas des toiles déjà apprêtées chez un marchand. Si j’achète une toile déjà traitée, c’est une autre texture. Ici, c’est moi qui la peins. En fait, je travaille un peu comme avec l’aquarelle, où le support est prépondérant, où c’est de lui que vient la lumière.
Mais de temps en temps, sur les petits formats, j’aime bien couvrir entièrement, pour aller vers quelque chose de plus massif. Pour l’instant j’aime bien les choses assez fragiles au niveau de la peinture.
Dans L’Allée (2006), il y a tous ces éléments : le jeu, la construction, la perspective… Je me suis amusé à faire une fausse perspective, à exagérer. Les deux droites s’arrêtent bizarrement. Je sais dessiner une vraie perspective, mais j’avais envie de jouer avec ces choses-là.

Tes compositions dégagent une ambiance très sereine.
Je ne veux pas mettre du pathos dans mon travail, de la lourdeur ou de la tristesse. Mais en même temps, mon travail raconte et me raconte aussi un peu. C’est ça que j’essaie de faire.

Quelles sont tes influences?
Je suis assez fasciné par Giotto. Il y a quelque temps j’ai vu Le Baptême du Christ (1442) de Piero della Francesca à la Tate Gallery à Londres. Je suis assez fasciné par ce tableau, par ces paysages et cette ambiance d’une époque où les gens croyaient vraiment en leur civilisation. La fascination que j’ai pour cette époque-là, c’est aussi cette foi religieuse, et cette foi dans la civilisation.

Tu peints des paradis perdus, en quelque sorte.
J’ai fait une série d’aquarelles très violentes au moment de la guerre au Rwanda, ou de la guerre du Golfe, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de montrer. Je préfère montrer une image qui soit à l’envers de ça, un moment silencieux ou une pause dans une succession d’images. Moi, j’arrête la vitesse du film : je ne fais pas quarante plans à la minute, mais un seul.
Quand je me suis dirigé dans cette direction, je voulais créer un moment de calme. Non pas un calme morne ou morbide. Un calme serein. Je ne travaille pas sur les moments douloureux, je préfère montrer un négatif de la violence.

Tes couleurs sont-elles aussi claires et gaies. Est-ce un choix délibéré?
Je choisis, depuis un certain temps, des couleurs à consonances naï;ves. Au départ j’utilisais des couleurs plus ternes et foncées. À un moment, j’ai décidé de ne pas travailler sur des choses tristes, j’ai pivoté vers un univers plus lumineux, plus fragile et en même temps de plus frais. Aujourd’hui, j’aime employer des couleurs presque acidulées avec, de temps en temps, des couleurs grises en contrepoint. En alternant des couleurs plus denses et accrochées avec d’autres plus fragiles et fines.

Tu réalises aussi des constructions en bois…
Les sculptures sont un peu satellitaires par rapport à la peinture. Même dans la peinture il y a un jeu de construction. Le pont, par exemple, c’est comme un logotype ou un jouet.
Ce que j’appelle Le Grand huit est fait à partir de bouts de balsa peints. Le manège m’intéresse. J’ai commencé à construire, à jouer avec les bouts de balsa et de la colle et cela a donné un bout de manège, qui ne fonctionne pas. Le bateau, lui aussi, ne fonctionnera pas. Je suis un peu effrayé par certaines productions confiées à des équipes de production qui réalisent la pièce finale.
Quand je construis, je ne sais pas exactement où je vais, ou comment je vais le faire. Je sais que je veux faire un bateau ou un clocher, mais sans savoir comment. Tandis qu’en peinture, je sais à peu près comment faire techniquement.

La sculpture est l’inconnu. Tu commences sans connaître la destination finale.
Oui, je me laisse une souplesse. Cela possède une autre présence que la peinture. J’ai l’impression de faire autre chose. Pour moi, ce n’est pas vraiment de la sculpture, c’est autre chose. J’ai une idée de départ, qui se modifie, évolue, en cours de réalisation. J’avance assez lentement. Je me laisse du temps pour évoluer dans ce que je veux dire avec ça.

Mais ce n’est pas de la sculpture?
Non, parce que je ne pense pas vraiment en trois dimensions. Je bricole. J’ajoute des trucs, et si ça marche, ça marche. Mais je ne visualise pas en trois dimensions. Je pense en aplats.

Tu restes davantage dans le registre de l’artisanat, du bricolage.
Oui et je raconte aussi quelque chose. Je montre que je ne sais pas entièrement faire. Je voudrais que ça reste à l’échelle humaine. D’ailleurs Le Bateau (2006), je l’ai fait à ma taille. Pour sa longueur, j’ai pris ma taille.

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