Marquant le pas sur une création qui veut négocier entre plasticité de l’œuvre et engagement socio-politique, Leblon préfère ancrer ses recherches dans l’héritage conceptuel des années 1960. Si l’œuvre demeure « engagée », c’est avant tout en interrogeant sa nature et sa structure d’œuvre, en insistant sur ses enjeux propres.
C’est dans cet esprit que les propositions de Guillaume Leblon relèvent toujours d’une variation autour des paradoxes de l’œuvre conçue comme seuil, site transitoire, zone opératoire d’un temps de passage.
Simultanément à des investigations portant sur l’image et la représentation, Leblon interroge l’architecture et le volume. Si bien que les œuvres proposées dans la galerie Jocelyn Wolff opèrent dans une double direction.
Jouxtant le bureau du galeriste, visible depuis l’entrée, la fiction fragile d’un escalier en colimaçon réalisé en carton s’étire entre sol et faux-plafond. Hésitant entre architecture, sculpture ou monochrome, l’ensemble que constitue le lieu clos de la galerie, la table de travail et l’escalier renvoie au Philosophe de Rembrandt. Or, l’escalier peint par Rembrandt – véritable métaphore de l’abstraction du concept– est conçu comme un nœud de Mœbius impossible à parcourir autrement que par l’œil de la pensée. Reprenant cette hypothèse d’un escalier irréel impropre à l’usage, Leblon propose une invitation à l’abandon du paramètre de la pesanteur en guise de légende générique sous-titrant l’ensemble de ses recherches. Véritable seuil, cet escalier de carton désigne un site transitoire d’articulation entre la mémoire picturale et l’architecture moderne, l’actuel et le virtuel, la vérité et la fiction. À ce titre, il travaille l’ambivalence même de l’art.
C’est dans un même esprit de suspens que Leblon s’approprie un des angles de la galerie qui rompt particulièrement l’homogénéité du volume spatial, en le soulignant d’une baguette de laiton. En conjuguant la baguette du cadre à l’interruption architecturale, Leblon investit à nouveau une zone de transition imaginaire.
Fidèle à ce projet d’allégement du regard par l’art, Guillaume Leblon interroge également le champ de l’image. Réduite à son plus simple appareil, faite de papier, de couleurs, de lignes et d’encadrements, l’image déshabillée attend le spectateur de passage qui lui indiquera la pose à prendre. Une image n’est peut-être jamais que cela : une proposition d’écran qui sollicite le regard du spectateur.
Mais surtout, soulignant la dynamique d’allégement propre à l’oeuvre, une série d’encres jaunes représentant des Succulentes, plantes du désert capables de retenir l’eau pendant plusieurs mois, habille d’une luminosité aérienne un mur à contre-jour. Une encre singulière, s’effaçant inexorablement à la lumière du jour, confère à cette série végétale une dimension plastique fascinante, tendue entre inscription et transition. Semblable à la cactée qui se cramponne aux quelques gouttes d’humidité traversant le désert, l’œuvre est à la fois pérenne et transitoire, se déposant dans le regard du spectateur pour mieux s’évanouir vers l’au-delà de la figure qui lui sert d’horizon. Car, quand l’encre est devenue transparente, c’est une trace de plante qui demeure à la surface de la page, vestige inaccessible à la vue qui tend le visible vers ce qui l’excède.
Depuis l’escalier de carton jusqu’aux cactées de passage, Guillaume Leblon désigne l’invisibilité du transitoire.
Guillaume Leblon
— Correction, 2004. Laiton. 4 x 4 x 340 cm.
— Escalier, 2004. Carton, bois. Dimensions variables.
— Rites à intervalles irréguliers, 2004. Inox, papier. 180 x 80 cm.
— Les Succulentes 1, 2004. Encre à faible solidité de lumière, papier. 65 x 55 cm.
— Les Succulentes 2, 2004. Encre à faible solidité de lumière, papier. 65 x 55 cm.
— Les Succulentes 3, 2004. Encre à faible solidité de lumière, papier. 65 x 55 cm.
— Les Succulentes 4, 2004. Encre à faible solidité de lumière, papier. 65 x 55 cm.