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Guillaume Désanges

L’exposition «2001-2011: Soudain, déjà» apparaît d’abord au spectateur comme un «brouillard informe de juxtapositions». Au chaos de l’actualité — matérialisé dans l’espace par une chronologie d’articles de presse — répond une mélange d’oeuvres assez hétérogène. Le commissaire de cette exposition, Guillaume Désanges, nous aide à y voir (un peu) plus clair.

Elisa Fedeli. Dans votre cycle d’expositions «Erudition concrète» qui a eu lieu au Plateau, vous avez posé la question des liens qui unissent art et savoir. Avec l’exposition «2011-2011: Soudain, déjà» à l’Ecole des beaux-arts, vous interrogez les rapports de l’artiste à l’actualité. Erudition, information: peut-on dire que ce sont les sources des artistes qui vous intéressent?
Guillaume Désanges. Non, pas vraiment. Je considère généralement l’œuvre en tant qu’objet autonome et donc je m’intéresse peu au processus créatif de l’artiste à l’œuvre. Dans la logique d’une critique de la réception, je me place entre l’œuvre et le public. Ce ne sont pas tant les sources de l’artiste qui m’intéressent, que la relation que l’œuvre engage avec un contexte de monstration, au sens le plus large. L’art semble parfois un peu replié sur lui-même, c’est pourquoi, à l’ENSBA, j’ai voulu le confronter, de manière volontariste et presque «forcée»,  au monde extérieur et à une multitude d’autres champs, à travers ces liens avec des articles de presse.
Dans ces relations que j’ai pu tisser, je n’ai pas cherché à être fidèle à des intentions précises de l’artiste envers un contexte contemporain. Je n’ai pas privilégié des artistes qui se réfèrent directement à l’actualité, ni même cherché à savoir quels étaient leurs liens précis avec tel événement. J’ai observé les œuvres et la manière dont on pouvait les lier à certains faits. Le sujet de cette exposition n’est donc pas la manière dont les artistes ressentent ou interprètent l’actualité mais une manière possible de ressaisir le travail hétérogène d’une génération dans un régime de l’événement, et donc de travailler de manière critique la notion de «contemporanéité».

Cette problématique peut donc s’appliquer à tous les artistes?
Guillaume Désanges. Absolument. Ce protocole curatorial aurait pu se faire avec tous les artistes, et même avec toutes les œuvres. Simplement, il prend plus de sens dans le contexte d’une invitation, que l’on m’a faite, à observer le travail d’une génération, et tenter d’en tirer un bilan.

En dix ans (2001-2011) l’Ecole des beaux-arts a diplômé 1086 artistes. Pour cette exposition, vous avez dû en présenter seulement une sélection. Quels ont été vos critères?
Guillaume Désanges. Dans l’exposition, il y a 29 artistes, et non 30. Ce n’est pas volontaire, c’est tombé comme cela, mais j’aime que ce chiffre ne tombe pas juste, car en effet, une sélection si réduite ne peut pas tomber «juste».
La question du choix est partiellement chaotique, subjective et évidemment non-scientifique. L’idée de sélection en elle-même ne m’intéresse pas; mais j’ai dû assumer cette responsabilité. C’était d’autant plus difficile que j’ai voulu une sélection très resserrée, qui permette de déplier dans l’espace des univers de travail, avec plusieurs œuvres par artiste.
Ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas un best-off de diplômés mais qu’il y a une réflexion sur quelques lignes de force de la décennie passée. J’ai privilégié des univers singuliers et des personnalités et aussi voulu montrer une diversité de profils: l’exposition rassemble des artistes plus ou moins reconnus. Tout cela procède d’une sorte de formule impossible: présenter à la fois un panorama qui exprime quelque chose de cette dernière décennie et, dans le même temps, un choix subjectif que je puisse totalement assumer et défendre.

Est-il possible de résumer les grandes orientations artistiques de cette dernière décennie? Quels sont pour vous les événements qui ont bouleversé l’art dans ses formes même?
Guillaume Désanges. L’exposition s’articule autour de quelques noyaux subliminaux, qui ont déterminé l’accrochage: la destruction et la reconstruction, l’histoire et la mémoire, le design et l’architecture, le chaos et l’éclatement des perspectives, l’espace social mondialisé et la fin d’un monde. On le voit, c’est très disparate.
Mais si ces travaux sont très éloignés dans leurs factures et leurs thématiques, on peut dire que ce qui les relie est une relation très forte, quoique pas toujours manifeste, avec la connaissance. Chacune de ces formes est hantée par une recherche et une curiosité, précise et presque érudite, pour certains faits et phénomènes souvent exogènes à l’art.
C’est un des points que je trouve passionnants dans cette génération et que j’ai senti au cours des nombreuses rencontres que j’ai réalisées pour préparer ce projet. Il est lié au formidable développement d’Internet, peut-être, mais aussi à la volonté d’aller chercher dans le passé et dans des champs extérieurs à l’art de nouveaux modèles pour penser et formaliser des enjeux d’aujourd’hui, voire d’y retrouver un nouveau souffle d’imaginaire et d’action.

Vous pensez qu’aujourd’hui, «nous sommes toujours dans une ère qui refuse à la fois la propagande et l’art pour l’art». Pourquoi dîtes-vous qu’«il serait temps de dépasser cette dichotomie aporétique»? Quelle voie proposez-vous pour repenser les liens entre art et politique?
Guillaume Désanges. Au cours du XXe siècle, on a occupé beaucoup de positions différentes dans ces domaines, à partir de deux perspectives: d’un côté, l’art pour l’art qui est devenu une forme un peu autiste de la modernité mais qui se faisant, a aussi servi une forme de politique; de l’autre, l’art au service du politique qui a pu devenir un art de propagande. La question de l’engagement politique des artistes a été très importante, notamment au moment des avant-gardes. C’est une histoire douloureuse, de trahisons réciproques, d’engagements déçus dans les deux sens. Dès lors, l’art se protège d’un rapport de propagande avec le politique et, en même temps, il a des inquiétudes par rapport à son inconscience politique.
L’exposition »Soudain, déjà» remet en jeu ces problématiques-là de manière assez brutale. Beaucoup de personnes m’ont déconseillé de faire ce projet, craignant qu’il soit une instrumentalisation problématique de l’œuvre, ou bien qu’il ne montre le caractère dérisoire de la création face à la barbarie du monde.
Il me semble, au contraire, que l’art peut tenir dans cette confrontation avec l’actualité la plus brûlante et la plus bouleversante, car il lui oppose une forme de résistance.
Certes, l’art qui m’intéresse n’est pas réactif, mais plutôt actif. Néanmoins, il entretient, peut-être malgré lui, des relations que je qualifierais de «sourdes» avec son contexte d’apparition. C’est ce que j’ai tenté de formaliser dans l’exposition.
On n’a pas à avoir honte de faire des formes face à la violence du monde. Même les artistes qui produisent les formes les plus abstraites, qui semblent les plus ancrés dans une histoire des formes, sont très informés, très conscients, très inquiets parfois, des choses du monde. Cela nourrit certainement leur travail, de manière non littérale. La question n’est donc pas tant le politique en tant que sujet de l’œuvre, mais en tant que régime de production de formes aujourd’hui.
L’art est une part d’énergie, une étincelle qui permet d’évacuer, et peut-être de dépasser, cette question: doit-on être représentatif du réel pour avoir une efficience politique?

Quels sont vos projets à venir?
Guillaume Désanges. Je m’interroge aujourd’hui sur différents formats d’exposition. Pour le commissaire, le temps de réflexion critique s’amenuise de plus en plus au profit d’une sorte de long tunnel logistico-administratif qui semble incompressible. Cela rend difficile le fait d’être réactif et c’est très problématique au vu de l’accélération de l’actualité. Comment éviter d’être totalement soumis à des structures lourdes et retrouver une marge de manœuvre, à l’intérieur même des structures de l’art, c’est ce à quoi je réfléchis actuellement.

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L’exposition »Soudain, déjà»

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