Guillaume Dégé
Guillaume Dégé
Il faut s’imaginer Guillaume Dégé comme un personnage à la Töpffer. Menton saillant, nez pointu sous une paire de petites lunettes de métal. Barbe courte en barbichette, cherchant et reniflant un incunable invisible mais tout à fait réel pour lui. Il vous parle du vieux livre qu’il vient d’acheter, de celui qu’un ami commun, collectionneur érudit et inépuisable lui a montré et acquis avant lui, de justesse. Il grogne, rit, vous regarde, se frotte les mains et prend un air tout à fait méphistophélique.
Des vieux livres aux vieux papiers, il n’y a pas même un pas. Il cherche, collectionne, rassemble, découpe et remet en circulation. Une sorte de digestion perspicace qui le mène à travers les livres de médecines, de religion (comme on disait il y a deux siècles) et autres souvenirs de famille. Il y a ajouté des formes, des pierres ou des végétaux venus du fond des temps ou d’un futur sans nature.
De ses dessins, il n’en parle pas, ou peu. S’il vous les montre, c’est pour hurler de rire en voyant votre tête, le genre poule avec un couteau. Ce qui l’intéresse, ce sont des images qui n’ont plus cours, des matériaux que l’on a oublié, des habitudes, une forme de pensée, de protocole dont on ne sait plus rien. Sans doute, avant la guerre avaient-ils encore un sens?
Son obsession, ce sont les «albums factices». Ces livres faits exclusivement d’images rassemblées par leur auteur. Comme, entre autres, cet «album» de Hannah Höch réalisé vers 1933 et publié en 2004 par Hatje-Cantz. Ce sont d’abondantes caisses de munitions pour se battre contre quelque chose qu’il exècre par instinct: l’ordre établi, le bon goût, le consensus, horrible. Un monde sans savoir, sans curiosité, sans ricanement, sans le plaisir un peu potache de faire une blague «énorme!».
Ses dessins sont autant de petits pièges blessants et imprévisibles. Faits de mèches tordues et plus ou moins courtes. «Je hais sans réserve» finissait-il par écrire dans Bouts, son livre d’aphorismes et de dessins publiés il y a trois ans à l’Atelier de bibliophilie populaire. Il faut le croire sur parole et prendre réserve au sens où cette haine recouvre tout, ne protège rien.
Il en résulte une accumulation de catastrophes et de ruines dont il fait un inventaire. Des gangues colorées comme des manteaux d’apparat, minéralisés, secrétés comme par désespoir contre un danger absolu. Des animaux, des êtres, pris de panique, statufiés par la peur. Des fantômes de papier marbré. D’une substance hésitante et transformée comme les perles et les coraux (en écho aux dessins de Guillaume Dégé, un objet de Ron Nagel, sculpteur et céramiste né en 1939 à San Francisco, est présenté dans l’exposition). Ce sont enfin, des objets arrachés de leur contexte par la force destructrice du collectionneur (Walter Benjamin, Éloge de la poupée) devenu l’artiste d’une nouvelle classification, le diable d’une nouvelle vérité des choses.
Fabrice Hergott
Vernissage
Vendredi 29 novembre 2013