ART | EXPO

Grosse fatigue

05 Fév - 08 Mar 2014
Vernissage le 05 Fév 2014

La colonne vertébrale de la vidéo Grosse Fatigue est un long poème déclamé. Dans une volonté d’universaliser les savoirs, ce texte mélange l’histoire scientifique avec des récits de la Création de différentes traditions religieuses, hermétiques ou orales. A l’arrière plan visuel, l’artiste opère ce qu’elle appelle un «dépliement intuitif du savoir».

Camille Henrot
Grosse fatigue

Raconter l’histoire de la création de l’univers, tel est le défi que Camille Henrot s’est donné avec Grosse Fatigue. Grosse en effet est la fatigue de celle qui, à l’image du titan Atlas, s’est elle-même condamnée à devoir porter tout le poids du monde sur ses seules épaules. Mais les sombres fardeaux solitaires ne sont-ils pas destinés lorsqu’ils sont manipulés par un artiste à devenir aussi légers, beaux et fragiles qu’une bulle de savon?

Tenir le monde dans le creux de sa main… flottant sans effort à la surface de la paume comme si, par l’entremise de discrets pouvoirs magiques, l’artiste avait réellement pu ressusciter du fond des âges la jeunesse de l’humanité, aube magistrale que l’on croyait trop lointaine pour pouvoir être encore aperçue mais captivant néanmoins toute notre attention aussi facilement qu’une lanterne magique le regard d’un enfant.

La colonne vertébrale de Grosse Fatigue est un long poème déclamé en «spoken word», ce mode d’expression typique utilisé à bon escient dans les années 70 par le groupe musical new-yorkais The Last Poets. Il mélange dans un joyeux syncrétisme l’histoire scientifique avec des récits de la Création appartenant aussi bien aux traditions religieuses (hindou, bouddhiste, juif, chrétien, islamique…), hermétiques (Cabbale, Franc Maçonnerie…) qu’orales (celles des peuples Dogons, Inuït, Navajo…).

A l’arrière plan visuel de cette oraison enflammée, Camille Henrot opère ce qu’elle appelle un «dépliement intuitif du savoir» à travers une série de plans dévoilant les trésors renfermés dans les prestigieuses collections du Smithsonian Institute de Washington, plans eux-mêmes travaillés de l’intérieur par des images capturées sur Internet et des scènes tournées dans des lieux aussi différents qu’une animalerie ou un intérieur domestique et qui apparaissent comme des pop up à la surface de l’écran.

Grosse Fatigue ne prétend pas bien sûr produire une quelconque vérité objective. Tenter de comprendre (to grasp = to comprehend) en treize minutes une masse infinie d’informations qui demeureront par définition toujours en excès est un exercice relevant plutôt de ce que Walter Benjamin appelait en termes psychiatriques «un délire du groupement».

«Dans ma vidéo, explique l’artiste, la volonté d’universaliser les savoirs s’accompagne de la conscience que j’ai de cet acte. C’est-à-dire qu’au moment même où j’aspire à rendre le monde habitable par le biais d’une totalisation subjective, je sais en même temps la folie de cette tentative ainsi que ses limites intrinsèques. Dès lors que l’on pense avoir déployé et circonscrit tout son univers à l’intérieur d’un seul et unique paysage, la seule question, inévitablement, qui vaille, travaille et tenaille sans relâche l’esprit n’est-elle pas en effet celle-là même par laquelle Jonas Cohn conclut son Histoire de l’infini (1896):
«Mais au-delà, qu’y-a-t-il?» (Jonas Cohn, History of speculative thought, 1896).

Jonathan Chauveau

Vernissage
Mercredi 5 février 2014

critique

Grosse fatigue

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