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Gregory Maqoma

Traversé par des identités multiples — celles de Vincent Mantsoe, Akram Khan et Faustin Linyekula qui ont participé à l’écriture de la pièce — le solo de Gregory Maqoma voyage entre les traditions et le contemporain. Une première venue réussie au Théâtre de la Ville, où nous avons le plaisir de le rencontrer...

Smaranda Olcèse-Trifan. Pouvez-vous nous parler de votre trilogie Beautiful et de la manière dont Beautiful me,  présentée au Théâtre de la Ville, vient s’inscrire dans cet ensemble?
Gregory Maqoma. Tout a commencé en 2005. J’étais vraiment obsédé par la beauté de notre planète et également par la beauté de l’humanité. Je me suis focalisé tout particulièrement sur le continent africain, un continent qui a connu tant de guerres et qui pendant des siècles a été regardé par le monde occidental comme un lieu de non droits. C’est aussi un continent qui essaie de se retrouver après une longue période de colonialisme et il est assez partagé entre le poids du passé et l’histoire qu’il est en train d’écrire. J’essaie de trouver la beauté en tout cela.
J’ai commencé avec un duo, Beautiful, que je dansais avec Shanell Winlock, maintenant danseuse d’Akram Khan Company. Nous étions juste en train d’apprécier la beauté de la planète, le plateau était notre terrain de jeu.
Le deuxième volet, Beautiful us, s’attardait sur les manières dont les hommes peuvent être autodestructeurs, et contribuer à la dégradation de notre planète.
Dans Beautiful me, je m’intéresse à l’humanité, aux questions de pouvoirs et aux atrocités que nous avons vécues en Afrique à cause des luttes de pouvoir. Dans ce contexte, je me regarde en tant que citoyen du monde et je regarde aussi mes amitiés, Vincent Mantsoe, Akram Khan, Faustin Linyekula, des artistes de ma génération. J’essaie de trouver un langage commun, de faire passer ce que nous avons en commun, tout en étant tous originaires de différentes traditions, parlant différentes langues, et travaillant différentes formes d’expression artistique. Malgré tout cela, il y a quelque chose qui nous unit, une certaine relation aux traditions que nous revisitons et travaillons pour créer.

Il y une tension dans votre travail entre une prise directe avec les dures réalités du monde contemporain, votre engagement politique et social et cette idée de beauté?
Gregory Maqoma. Le politique est impliqué d’une certaine manière dans tous les aspects de la vie quotidienne, nous ne pouvons pas l’éviter. Mon œuvre n’est pas politique, je ne crée pas dans le but d’exprimer des idées politiques. Pourtant mes créations questionnent le contexte actuel, les pouvoirs décisionnaires et je trouve de la beauté dans cet acte, parce que j’approche l’humanité, une qualité très rare de nos jours. Pour moi la beauté est intimement liée à l’humanité, puissante force motrice dont nous avons besoin en tant qu’êtres humains pour créer une sorte d’harmonie dans le monde.

Quelles sont vos relations avec Vincent Mantsoe, Akram Khan, Faustin Linyekula?
Gregory Maqoma. Ce sont des amis de longue date, tout particulièrement Vincent Mantsoe. Nous avons grandi dans le même township et nous avons commencé la danse ensemble. Même si nous venons du même milieu, notre ethos et nos formes d’expression sont très différents. Vincent Mantsoe s’inspire des ancêtres, sa mère est une sangoma, une guérisseuse traditionnelle. Je viens d’un milieu chrétien, donc il y a toujours eu des tensions entre nous deux en ce qui concerne la religion, les croyances et aussi les traditions. J’ai dansé dans plusieurs de ses pièces, mais j’ai maintenu cette distance pendant des années et je ne me suis jamais impliqué complètement dans ses œuvres. Donc pour moi il s’agissait d’une curiosité: connaître de plus près les raisons de ses choix et ses formes esthétiques. J’avais besoin de le prendre comme étude de cas pour entrer en contact avec ces réalités-là, mais aussi pour retrouver mes propres ancêtres d’une certaine manière, à travers sa signature, son esthétique et sa manière de penser.

Et Faustin Linyekula?
Gregory Maqoma. J’ai rencontré Faustin Linyekula en 1986 au Kenya. Il s’était auto-exilé là-bas et nous avons tout de suite su que nous voulions faire quelque chose ensemble. Ce fut Tales of the Mud Wall créé à Vienne en 2000. La rencontre avec Faustin Linyekula m’a marqué, m’a profondément touché. J’ai commencé à mettre en question l’état d’esprit d’un artiste, d’un être humain vivant en Afrique avec toutes ces atrocités. C’est devenu une part du poids que je porte. Pourtant il y avait une tension extrême entre nous deux parce que nous venons aussi de contextes, de réalités très différentes. Je considère ses réalités insupportables, impossibles à assumer pour tout être humain. Alors que mes réalités étaient encore supportables. Même si j’ai connu l’époque de l’apartheid, je viens d’un milieu assez protégé, j’ai toujours vécu avec ma famille, je n’ai jamais eu à m’exiler. Je me suis donc beaucoup impliqué dans cette relation. Il y avait des choses qui m’échappaient et je voulais arriver à les saisir. C’était très important pour moi de rester en contact même après son retour au Congo, suivre de loin sa nouvelle vie au pays.
Nous avons beaucoup échangé sur l’histoire, l’histoire de l’Afrique, ou encore sur cette idée des noms qui définissent d’une certaine manière les origines et sur les changements de noms imposés par les pouvoirs : être obligé de renoncer à un nom ou de prendre un nom. Je porte aussi le poids de mon propre nom, Gregory, un nom chrétien, très attaché au colonialisme, car selon les lois de l’apartheid on devait porter un nom chrétien pour être reconnu en tant que personne et citoyen. Le nom traditionnel de la maison, Vuyani, n’était pas reconnu! Je suis identifié comme Gregory Maqoma et c’est pour cela que j’ai voulu que ma compagnie porte mon autre nom. Et en même temps je dois porter ce nom, Gregory, qui est riche de connotations historiques et définit ma relation avec mon père. Oui, les noms sont devenus très importants dans la pièce!

Le chorégraphe Akram Kham est celui que vous avez rencontré le plus récemment…
Gregory Maqoma. Oui, en 2002. Je présentais, pour la première fois en Angleterre, Southern Confort, mon duo avec Shanell Winlock. Il a vu la pièce et cela lui a directement parlé. Nous avons commencé à échanger, il est venu en Afrique du Sud présenter ses œuvres. Ensuite, il m’a invité à participer à son projet Variations for Vibes, Strings & Pianos (2006) sur la musique de Steve Reich. J’ai commencé à regarder de plus près les processus qu’il engage dans la création de ses pièces. C’est un artiste qui se nourrit beaucoup d’une tradition en tant que forme esthétique, il crée des pièces très contemporaines, mais avec des références traditionnelles très marquées. Nous avons engagé un dialogue sur cet aspect, la tradition Kathak et ses influences, et partagé plein de choses sur le plan humain. Nous avons passé des heures et des heures à discuter ou à expérimenter du mouvement. Nous avons réalisé combien nous nous ressemblions: lui aussi a été influencé par Michael Jackson. D’ailleurs, nous avons tous en commun l’attrait pour cet icône: Vincent, Faustin….
Par la suite j’ai commencé à développer ma création en me nourrissant de ce matériel. Beautiful me est une continuelle conversation sur scène avec ces artistes. Elle répond à l’histoire, mais aussi à l’actualité, tout en ouvrant des portes vers le futur. Chaque soir, c’est une nouvelle offrande, un don de soi en réaction directe au moment présent.

Pouvez-vous entrer dans les détails de cette création? Comment avez-vous travaillé avec ces artistes?
Gregory Maqoma. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble et ils ont été tous extrêmement généreux. Ils ont partagé des choses très intimes: dans le travail, l’esthétique, les traditions. Et ils se sont ouverts à moi car nous avions atteint un certain niveau de confiance et ils savaient que je n’allais pas dupliquer leur œuvre, mais me positionner dans le prolongement de leur processus. Il ne s’agissait pas pour moi de devenir un danseur de Kathak, ni de vénérer les ancêtres ou de copier l’expérience de Faustin en tant que congolais. J’allais les utiliser comme des études de cas, j’avais besoin d’écrire d’une certaine manière, ma thèse, à partir de leurs matériaux.

Est-ce que vos amis ont vu la pièce?
Gregory Maqoma. Oui, ils l’ont vue! Ils ne savaient pas à quoi cela allait ressembler et moi non plus. J’avais beaucoup de matériel, écrit et filmé, des heures et des heures de rushes tournés en studio, et quand j’ai commencé à travailler, il fallait faire des choix. J’y suis allé avec le corps, j’ai laissé de côté les images. C’était la manière la plus juste de travailler.

Vous passez, en l’espace d’une heure, de la concentration demandée par le Kathak (Akram Kham) à la dépense d’énergie de la danse de Faustin Linyekula et à la relation au sol caractéristique du travail de Vincent Mantsoe… Finalement quel est le corps de votre danse dans Beautiful me?

Gregory Maqoma. Je ne saurais prétendre faire du Kathak, c’est une forme de danse très exigeante, j’aurais besoin de passer des années et des années à ne danser que cela… Il s’agit d’influences, d’une inspiration qui aide mon corps à passer à un autre niveau. La dureté et la violence du Congo, l’état mental de Faustin sont pour moi une force. Et puis l’éveil des ancêtres à travers la proposition de Vincent… J’avais envie de traverser et d’expérimenter dans mon corps tout cela et j’étais conscient que j’avais à traiter avec des éléments très forts. Une fois sur scène, je deviens un être tout différent qui doit négocier avec toutes ces forces. Je suis là, au milieu de tous ces éléments, avec mes propres tensions, ma lutte, mon histoire. Il s’agit de me retrouver moi-même, mon identité est en jeu aussi, dans la relation avec mon père, avec l’histoire et le pouvoir en Afrique du Sud.

Enfin, quel type de rapport entretenez-vous avec la musique, dans cette pièce et dans votre oeuvre?
Gregory Maqoma. La musique est très importante dans mes créations. Je travaille toujours avec des musiciens en live parce que, encore une fois, il s’agit de se retrouver soi même dans l’instant, dans cette communication avec les musiciens. C’est une relation de confiance. Les tambours sont primordiaux pour Vincent, ils invoquent les esprits. La cithare est utilisée dans la tradition indienne comme une forme d’invocation. Le violoncelle et le violon sont pour moi de nature sacrée, ils ramènent l’harmonie dans la pièce, ils font la transition entre les deux mondes. Je travaille beaucoup avec les extrêmes, mais en même temps j’essaie de trouver le chemin du milieu.

— Chorégraphie: Gregory Maqoma avec la collaboration de Akram Khan, Faustin Linyekula, Vincent Mantsoe
— Direction artistique: Gerard Bester
— Interprète: Gregory Maqoma
— Composition musicale et interprétation: Poorvi Bhana, Bongani Kunene, Given Mphago, Isaac Molelekoa

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