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Grégory Castera

Nathalie Rias. Dans l’exposition, certaines œuvres sont conservées dans une sorte de placard, d’où tu les sors régulièrement pour les présenter aux visiteurs. Je te propose de me décrire l’une de ces œuvres…
Grégory Castera. Prenons l’oeuvre d’Adrien Vescovi, un jeune artiste qui sort de l’École d’art de l’agglomération d’Annecy et qui est actuellement en résidence à la Générale en Manufacture à Sèvres. Il s’agit d’une vidéo, présentée par l’intermédiaire d’un ipod Touch, un lecteur numérique avec un écran tactile. Tu peux mettre les écouteurs. Tu vois ce paysage avec au fond des montagnes vertes et un chemin incliné en premier plan : tout est verdoyant et donne l’impression d’une composition très appliquée. Le plan est fixe durant les 27 secondes de la vidéo. Ca commence par un fondu au noir. A un moment, un vélo apparaît sans son cycliste, il passe de la gauche vers la droite et monte le plan incliné qui, pour l’anecdote, s’avère être la piste officielle du Tour de France. Il la monte sans son conducteur et la vidéo se termine par un autre fondu au noir. Cette oeuvre a été réalisée en 2008. Nous avons choisi de la montrer sur l’ipod parce que ça permet à l’artiste de la présenter lui-même, en la sortant de sa poche, un peu comme je viens de le faire. Le titre fait référence à une séquence de Jour de fête de J. Tati où le cycliste échappe au facteur qui lui court après. C’est la co-commissaire de l’exposition, Mélanie Bouteloup (directrice de Bétonsalon), qui a découvert ce travail. C’est un objet que l’on peut montrer dans plein de situations et qui introduit aussi une relation entre la personne qui montre et la personne qui voit.

Quel est le contenu de ce dispositif muséographique ?
Grégory Castera. Ce dispositif, que l’on pourrait nommer « le dispositif de l’étagère », consiste à rassembler une sorte de collection d’oeuvres et d’objets qui pourraient avoir été trouvés dans le quartier, des témoins plus ou moins fictionnels d’un passé ou d’un futur. Il y a des livres, une suite de clefs modifiées (Morphothèque #13 de Drissens et Verstappen), l’ipod d’Adrien Vescosi, un foulard (Schleier de Michael Eric Dietrich)… Il est possible de faire des rapprochements entre chacun de ces objets et la ZAC Paris Rive Gauche où est implanté Bétonsalon, dont les bâtiments constituent aussi une sorte de collection d’architectures remarquables puisque chacune est une signature reconnue, dans un agencement spécifique, selon le concept d’îlot développé par Christian de Portzamparc.Les panneaux d’information de la Semapa (Société d’économie mixte d’aménagement de Paris) sont situés autour du grand jardin qui relaie les Grands Moulins à l’avenue de France. Le tout charrie aussi beaucoup de fictions, dans les formes et matériaux utilisés mais aussi au travers des fortes variations de fréquentation du quartier. On peut autant y voir l’esplanade Pierre Vidal-Naquet saturée d’étudiants le midi que le quartier tel un décor vide de promeneurs et d’habitants certains week-end. Le titre du projet, Playtime, est né de ces observations.

Pourquoi avoir décidé d’utiliser la parole pour présenter les œuvres ?
Grégory Castera. La place de la parole dans l’exposition nous intéresse particulièrement. Mélanie Bouteloup a d’ailleurs organisé une « Proposition de colloque » à la Kaddist Art Foundation en avril 2007, deux journées qui traitaient, entre autres, de l’usage de la parole dans la transmission du savoir dans l’art contemporain. Pour ma part, je m’intéresse particulièrement aux rapprochements entre pratiques curatoriales et mise en scène, ce qui m’amène à porter attention à des situations comme la visite, ou l’écriture d’exposition, notamment à travers le théâtre.
Le « dispositif de l’étagère » a été conçu pour des raisons pratiques. Si le programme de Playtime présente dans l’espace de Bétonsalon des performances, non pas comme des événements mais comme des éléments de l’exposition, le rapprochement avec des oeuvres « matérielles » visibles au même moment peut être parfois malheureux. Le risque est que certaines oeuvres fassent « décor » lors de la performance, ou que cette dernière soit perçue comme objet. C’est ce qui explique ce choix d’œuvres, placées et sorties régulièrement du dispositif de l’étagère, qui est lui, séparé de l’espace d’exposition.
Par ailleurs, le fait de sortir des oeuvres pour les montrer n’étant pas un acte anodin, celles que nous avons choisies correspondaient aussi à ce dispositif et lui en donnaient tout son intérêt. Deux d’entre elles, Fac Simile de Guillaume Constantin et The Infinite Library de Daniel Gustav Cramer et Haris Epaminonda, sont des livres habituellement montrés sous vitrine. Ici, ils étaient feuilletés, avec des gants blancs, devant le public. De la même façon, certaines oeuvres pouvaient être manipulées comme les cartes postales de Dan Rees ou l’enveloppe Hand to Hand de Patrick Killoran. La situation avait l’allure d’une médiation un peu particulière, puisqu’il fallait que le médiateur choisisse aussi le « socle » des oeuvres et leur ordre de présentation, en plus des habituelles questions liées au discours sur les œuvres : quels types d’information donner, avec quelles techniques d’énonciation … 

A cette occasion, tu portes souvent le survêtement blanc à rayures blanches de l’artiste Ryan Gander, peux-tu nous éclairer sur cette imbrication entre performance, médiation et pratique curatoriale ?
Grégory Castera. Le fait de porter moi-même une oeuvre de Ryan Gander nommée This Consequence, un survêtement blanc avec des tâches brodées, donnait à mon intervention une allure de performance. J’étais en même temps médiateur et commissaire de l’exposition. A y réfléchir, j’ai de plus en plus de mal à voir, au quotidien, la différence entre les fonctions de curateur, critique, médiateur, ou un autre intermédiaire entre l’oeuvre et le visiteur. Théoriquement, les niveaux de discours associés à ces trois fonctions et leurs places dans l’exposition ne sont pas les mêmes. Mais le fait que beaucoup exercent quotidiennement ces fonctions, et les mettent en relation, problématise d’avantage ce qui peut sembler « aller de soit » comme la médiation. Aussi, le dispositif était manifestement un moteur d’échanges et de dialogue sur les oeuvres. A ce que j’en ai entendu, il s’agissait autant d’une médiation, d’une performance, d’une rencontre avec le commissaire ou d’une intervention critique.

Vous avez invité des chorégraphes et des metteurs en scène à participer à cette exposition, leurs propositions y sont totalement intégrées et n’en constituent pas un simple pendant comme c’est souvent le cas. Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Grégory Castera. Nous avons fait un petit essai cet été avec des acteurs, danseurs, chorégraphes, metteurs en scène et critiques volontaires pour expérimenter les relations entre médiation et performance. On a commencé à isoler les invariants de la médiation et ont a essayé de travailler sur les cas « limites » que chacun avait proposés : faire une médiation sans parole, coller un texte à une oeuvre, etc… Par exemple, il me semble cohérent de dire que la parole est un invariant de la médiation. Pourtant, si on ne parle pas et que la médiation consiste simplement à désigner des oeuvres ou des parties de celles-ci, l’action obtenue a de forte chance de sortir du champ de la médiation pour aller, par exemple, vers le solo de danse ou le mime. Néanmoins, si quelqu’un arrive à proposer quelque chose de suffisamment subtil pour faire que, malgré l’absence de parole, il n’y ait pas de doute sur le fait que ce soit une médiation, j’imagine que cela pourrait être très riche en terme de réception de l’oeuvre. Pour Playtime, seules les propositions qui demandaient le moins de préparation ont pu être réalisées : une visite d’Emilien Malausséna où les oeuvres étaient sorties de l’étagère et du lieu d’exposition et présentées chacune dans un espace différent du quartier ; un dispositif d’Eric Burtchy qui proposait une confrontation entre l’artiste — assis à une table de travail et entouré d’œuvres comme s’il s’agissait d’objets de bureau — et les visiteurs ; ou encore une intervention de Céline Ahond qui consistait à porter le foulard Schleier de Michael Eric Dietrich (l’un des usages proposé par l’artiste) et à en parler lorsque quelqu’un nous le demandait.

La présence de la performance et du spectacle vivant, ainsi que le principe de monstration de l’étagère où les œuvres sont commentées oralement impliquent des durées. Mettre le visiteur dans des durées, était-ce un des enjeux de l’exposition ?
Grégory Castera. Au début, au delà des questions contextuelles, nous avons essayé de pointer la processualité de la réception, ce qui est, à mon sens, le propre des arts où il s’engage une relation entre un « performeur » et un « spectateur » : théâtre, danse, concert, conférence, discussion, jeu sportif… Partager une durée ensemble. Si on déplace ce type de réception vers l’objet, cela implique chez le visiteur des usages spécifiques de l’exposition ainsi que des oeuvres, en terme de processus d’interprétation et de rapport à ce qu’on peut attendre d’une exposition ou d’une oeuvre.
Ensuite, s’il faut parler d’enjeux, je pense plutôt que ce serait de présenter le lieu d’exposition comme un endroit expérimental destiné à permettre l’émergence d’usages par le biais de la fiction. Je m’intéresse surtout à valoriser d’autres lectures possibles des oeuvres, du contexte et des relations qui sont engendrées. Dans ce sens, une exposition sans réflexion manifeste sur ce qui s’engage en terme de réception m’ennuie la plupart du temps. En revanche, je suis très enthousiasmé lorsque je peux percevoir l’exposition comme une sorte de tremplin, un moment dans un espace où un certain agencement des signes produit, par écho, un grand nombre de discours, d’idées et d’actions, donc d’usages.
Ce que je préfère, c’est lorsque quelqu’un me raconte avec entrain une chose qui lui a plu. Il arrive parfois que cette personne n’ait pourtant pas vu cette chose mais en ait entendu parlée par quelqu’un d’autre. Certaines choses ont été oubliées, d’autres subsistent. Il me semble percevoir à ces moments une autre réalité de l’oeuvre, plus complexe et plus dynamique. Ce sont ces effets collatéraux qui m’intéressent.

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