ART | CRITIQUE

Graphein II

PFrançois Salmeron
@12 Mai 2014

L’étymologie du terme «Graphein», signifiant à la fois écrire et peindre, souligne l’originalité des œuvres de Dan Miller: travailler à partir de caractères issus de notre alphabet pour les modeler, par couches successives, en purs motifs graphiques. Ainsi, les éléments de langage se trouvent exploités pour leurs qualités plastiques intrinsèques.

Le MoMA de New York a acquis en 2008 des œuvres de Dan Miller, élargissant alors la réputation de l’artiste bien au-delà du monde de l’art brut. Preuve de son succès grandissant, cette exposition apparaît également comme le deuxième volet de «Graphein» qui avait eu lieu en 2012 à la galerie Christian Berst. D’ailleurs, l’étymologie grecque de ce terme, signifiant à la fois écrire et peindre, vient souligner l’originalité des œuvres de Dan Miller: travailler à partir de caractères issus de notre alphabet pour les modeler, par couches successives et surimpressions, en purs motifs graphiques.

Ainsi, les catégories dont nous nous servons habituellement pour dissocier différents domaines d’activités deviennent ici obsolètes. Les champs de l’écriture et de la peinture ne sont plus deux modes d’activité distincts et se conjuguent désormais. En effet, le langage n’est plus tellement là pour renvoyer à un référent ou désigner un objet dans le monde. Au contraire, il apparaît comme un pur signe détaché de tout lien avec un quelconque référent. Et s’il est convoqué par Dan Miller, c’est avant tout pour ses qualités graphiques et plastiques intrinsèques.

Les œuvres de Dan Miller se construisent donc sur un effet d’accumulation de lettres, de mots ou même de suites de chiffres. On y perçoit sans mal plusieurs strates témoignant des différentes étapes du travail de l’artiste. Généralement, c’est avec de l’encre noire que Dan Miller élabore les premières couches de ses dessins, qui apparaitront dès lors comme une toile de fond sur laquelle des couches de peintures se superposeront.

Toutefois, certains dessins demeurent en noir et blanc. Ce qui nous frappe alors, c’est la prodigieuse vitalité des traits. Les courbes sont vives, rapides. Elles se tissent et se déploient comme un réseau formidablement complexe que notre œil n’est plus capable de démêler. Elles forment finalement un quadrillage impitoyable venant creuser le papier, comme si le stylo, à force d’allers et retours sur la surface, l’éreintait, l’usait et le faisait même gondoler. Alors, ces œuvres noir et blanc sont-elles la traduction des connexions synaptiques du cerveau de son auteur? Traduisent-elles plutôt un état d’âme proche de la colère, de la fureur ou de la rage? Ou l’auteur tente-il de nous dire qu’il broie du noir? Face au mutisme de Dan Miller, nos interrogations risquent de rester sans réponse.

Pour le reste, le pinceau de Dan Miller forme des lettres en acrylique, de dimension plus imposante, par-dessus le maillage de lignes noires. Néanmoins, les effets de répétition brouillent encore notre compréhension des termes esquissés. Seules parfois les légendes ou quelques bribes éparses nous informent de la véritable identité des mots employés («Fan can upper left», «Paint 5»). Le langage est donc crypté, il devient un code secret ou un message mystérieux dont seul l’artiste semblerait détenir la clé. Cependant, l’intérêt de l’œuvre ne réside sûrement pas dans un simple jeu de déchiffrage. Peu importe si nos grilles de lectures usuelles sont impuissantes à décrypter les mots de Dan Miller.

Car ici, le répertoire typographique se meut en un vocabulaire purement esthétique. Les traits verticaux et horizontaux des lettres contrastent avec les courbes des ampoules vertes ou rouges qui s’y mêlent. Les couches successives de peinture créent surtout des volumes colorés, des aplats compacts et denses. On repère d’ailleurs différents rythmes d’intensité sur le papier, partant des bords quadrillés à l’encre noire, et allant jusqu’aux masses colorées qui gagnent peu à peu le dessin et s’enchevêtrent. Au-delà de l’aspect cumulatif des dessins, on perçoit aussi des respirations au milieu des zones de perturbations, des équilibres subtils entre les masses agressives aux couleurs criardes.

Par leur nervosité et leur impulsivité, certains dessins de Dan Miller nous renverraient notamment vers l’univers du tag ou du graffiti. Leur densité leur confère en tout cas une grande force d’expression. On serait alors tenté d’affilier le travail de Dan Miller à l’expressionnisme abstrait américain, surtout lorsque ses dessins se déploient dans de grands formats. Mais par-delà des étiquettes, demeure une œuvre obsessionnelle, dynamique et intuitive. L’on y percevra à coup sûr une forme de logique répétitive dont les éléments s’enchevêtrent et se compénètrent. D’ailleurs, dans ses œuvres exécutées à la machine à écrire, les mots se démultiplient, se chevauchent et se télescopent, bousculant par là toute logique linéaire.

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