Dans une lumière tamisée, trois compositions monumentales au fusain surplombent le spectateur qui pénètre dans la salle principale de la galerie. En face, une vue de la Grande Mosquée de La Mecque, avec en son centre la Kaaba, cernée par des milliers de pèlerins. Sur la gauche, le Mur des Lamentations, avec ses pierres irrégulières et ses aspérités. À droite, la nef de la basilique Saint-Pierre de Rome, vertigineuse et rutilante. Les trois hauts lieux des grandes religions monothéistes cohabitent ainsi et se font face silencieusement dans une scénographie de sanctuaire.
Esthétiquement, tout les distingue. La pierre brute du mur de Jérusalem, exposée aux dommages du temps et de l’Histoire, contraste avec la préciosité du décor de la basilique, dont l’enceinte close s’oppose à la terrasse ouverte de la mosquée. Seule celle-ci est représentée avec les fidèles: les deux autres sont vides, comme désertées. Mais la foule des musulmans s’apparente davantage à un champ silencieux de fleurs blanches qu’à des individus singularisés. Aucun visage ne se laisse voir, aucun son ne se fait entendre.
À distance, nous croirions à des photographies noir et blanc, tant les détails sont précis et la lumière confondante. De plus près, nous découvrons la minutie du dessin et prenons la mesure de la tâche accomplie.
L’exposition pourrait s’en tenir là . Autant par sa charge symbolique que par la perfection de son exécution, ce triptyque suffit à donner aux lieux sacrés une dimension inédite, et au dessin une nouvelle notoriété. En dépit de leurs différences, les trois piliers de la sphère religieuse présentent une même démesure, ont bénéficié d’une même ferveur de travail et dégagent une force visuelle égale.
L’exposition se poursuit cependant sur les trois niveaux de la galerie, et nous finirions presque par le regretter. Car si Robert Longo propose quelques belles pièces dans lesquelles le potentiel, et surtout l’intensité du fusain lui permettent de traiter avec un soin de circonstance des thèmes forts, il applique sa technique à une multiplicité de sujets qui finissent par lui enlever de sa puissance expressive.
Nous découvrons ainsi le portrait d’une femme voilée, dont le regard incisif perce la grande surface noire qui l’enveloppe, exposé à côté d’une tête de tigre parée de sa fourrure bigarrée, au regard tout aussi «félin». Passé le parallèle facile autant que douteux entre ces deux «visages», il ne reste au spectateur qu’à apprécier la technicité quasi décorative déployée par l’artiste pour réaliser le pelage de l’animal.
Ailleurs, nous voyons pareillement quelques images, dont la charge dramatique ou suggestive est remarquablement traduite par le fusain — une carlingue d’avion perdue dans la nuit, le décolleté opulent d’une femme sans visage, la tête d’un enfant qui semble aussi mort qu’endormi —, se mêler à d’autres, plus jolies que réellement percutantes: l’arrière d’une Cadillac, une forêt ténébreuse, la Terre vue de l’espace, etc.
Si une cohérence d’ensemble parvient toutefois à se dégager (la majeure partie des pièces tourne autour de la violence et des désastres), le technicien paraît malheureusement l’emporter sur l’artiste. Une meilleure sélection aurait sans doute permis de mieux faire la part des choses et de ménager la force des œuvres qui en ont vraiment.
Å’UVRES
— Robert Longo, Untitled (Tiger Head), 2011. Fusain sur papier. 244 x 178 cm
— Robert Longo, Burka (Barbara), 2011. Fusain sur papier. 244 x 178 cm
— Robert Longo, Misty Forest, 2011. Fusain sur papier. 142 x 305 cm
— Robert Longo, Mecca, 2011. Fusain sur papier. 422 x 640 cm