Pour la Fashion week de l’année dernière, le duo scandinave, Elmgreen & Dragset, avait procédé de la même manière. Ces spécialistes des projets architecturaux, ces modificateurs d’espaces avaient proposé des sculptures abstraites à habiller. Ils avaient profité de l’occasion pour les faire relooker par plusieurs stylistes. Le non figuratif était aux prises avec des mailles et des dentelles. Une scénographie digne d’un défilé de mode permettait de déambuler d’un podium à l’autre, d’un socle à l’autre, d’une pièce à l’autre.
A ses sculptures, Giuseppe Gabellone semble vouloir, lui aussi, apporter un plus. La présentation de l’œuvre lui permet de jouer une corde supplémentaire. La forme ne semble pas suffisante, il faut l’habiller pour la circonstance. Ici aussi l’aspect, mou et tendre, semble l’emporter. La matière organique et sculpturale rompt avec le piédestal en échafaudage tubulaire. La forme pleine est posée en équilibre sur l’ossature de chantier. La disposition provoque un rapport de fragilité entre la masse noire et le vide qui se matérialise sous elle.
Deux sculptures indistinctes se font face. Elles se toisent autant qu’elles se jugent. Même taille, même poids, même présence, même occupation de l’espace. Élevées à un mètre du sol, elles deviennent légères et aériennes. Il est facile de circuler entre elles. Le seul rempart entre elles et nous se matérialise par l’armature métallique qui les sous-tend. Ce tissage arachnéen tend des barrières ténues, presque invisibles, mais qui nous tiennent à distance, à l’écart, à part.
Elles évoquent deux boxeurs se toisant sur un ring. Chacune dans son coin, elles s’épient et se jugent. Au lieu d’être décoratives, elles jouent à un autre jeu, celui qui consiste à perturber l’espace de la pièce. Dans cette grande salle blanche, éclairée par des portes fenêtres immenses, elles occupent le terrain pour mieux s’en emparer. Elles kidnappent le lieu pour en accaparer la matière, la saveur, la blancheur. Le match entre le noir et le blanc, le sombre et le diaphane laisse vainqueur ces deux trublions immiscés dans la pièce principale de l’hôtel particulier.
Si elles occupent l’espace et le domine, il n’en va pas de même dans le parcours photographique adjacent. Si Elmgreen et Dragset habillaient leurs sculptures de vêtements improbables, Giuseppe Gabellone déplace ses sculptures sur le toit des immeubles. Choisissant des «non-lieux», il dirige notre regard vers les à -côtés des autoroutes et des périphériques. Dans ce monde improbable et indistinct, il fait émerger des terrasses ces deux zombies qui conversent avec les tours, les autoroutes et les voitures. Le béton et l’asphalte se conjuguent pour livrer un discours sur la création. Si elles sortaient de terre, Giuseppe Gabellone pourrait les modeler en argile. Comme elles sortent de son imagination, elles sont le fruit d’un travail industriel, et elles se placent comme les vigies de notre monde moderne.
Ce parcours photographique permet de voir les sculptures en extérieur. Soutenues par des échasses de métal, les mêmes que l’on retrouve dans l’exposition, ces inventions tâtonnantes exécutent un parcours improbable et exotique dans la jungle et le no man’s land urbain.
Giuseppe Gabellone
— L’Assetato, 2007. Fer galvanisé. Sculpture 120 x 47 x 22 cm + Base 80 x 112 x 112 cm
— Untitled, 2007. Tirage photographique, aluminium, bois. 42 x 28 cm