Trois panneaux de granit, alignés en quinconce sur le mur latéral de la galerie, imposent d’emblée leur massivité primitive. Brute, rose, bleue ou grise, la pierre agace l’œil de ses aspérités microscopiques, éclats ou autres brillances naturelles. Découpées comme une toile, mais ne présentant pour motif que la pierre nue — et la beauté du quartz —, les parties de cet étrange triptyque s’apparentent volontiers à des totems.
Un certain archaïsme, que l’on retrouve souvent dans l’œuvre de Giovanni Anselmo à travers son utilisation du granit et de la terre, mais aussi dans l’origine même du mouvement artistique dont il est issu, l’Arte Povera (1967), anti historique et farouchement opposé à l’industrie culturelle.
Pesanteur, densité, pérennité… La pierre symbolise cette solidité, cette éternité toute minérale. Elle frôle pourtant (et presque toujours chez l’artiste italien) le déséquilibre, principalement en raison de la fragilité des supports qui la soutienne. Ici, formant un angle aigu avec le mur, les panneaux ont une assise apparemment précaire, ce qui leur confère une étonnante légèreté, un «poids vif».
Par ces impressions contraires, Giovanni Anselmo introduit dans l’exposition une ambivalence qui contaminera les trois autres œuvres exposées: Mentre la terra si orienta, un dôme de terre duquel émerge une boussole magnétique indiquant l’axe nord-sud; Mentre la mano lo indica, un dessin sur papier marouflé où une paume de main, seule, oriente le regard vers l’extérieur du cadre; et Particolare, modeste installation conçue à partir d’un mot projeté sur le mur ou révélé par la rencontre avec un corps, selon la direction du projecteur qui lui est associé.
Si elles traitent des thématiques chères à Giovanni Anselmo, à savoir les questions de gravité, d’énergie, de masse, de magnétisme, d’orientations dans l’espace ou dans le temps, de relation entre l’homme et l’univers, ces pièces ont en commun un même paradoxe.
Objets fini, matériels, ils renvoient tous à un invisible: hors-champ, forces telluriques dissimulées, autre temporalité. L’artiste revendique justement cette prise de conscience «que la réalité peut être comprise comme la somme de toutes ses composantes individuelles, mais jamais capturée dans son infinie totalité».
Nous qui n’avons accès dans ce monde qu’au détail: ce particolare − qui se distingue en italien du dettaglio, comme le précise Daniel Arasse, et qui gagne en richesse de cette distinction − partie intégrante d’un tout échappant pour sa part à notre entendement.
En cela, l’exposition comme déclinaison des lois de la physique terrestre tendrait presque à la métaphysique. Et cet ailleurs auquel les œuvres nous ramènent constamment pourrait se confondre avec un au-delà .
Tumulus (la terre) ou stèle (la pierre), tombeaux d’une dimension cachée, zones de passage − la main, instrument premier de la divination, organe de la prière, n’est-elle pas le symbole même de ce passage? —, recèlent une spiritualité d’essence matérielle, une forme d’animisme cultivé.
Vingt et un ans après la dissolution officielle de l’Arte Povera, à la suite de sa dernière manifestation au Pavillon d’art contemporain de Milan en 1989, Giovanni Anselmo continue de servir l’esprit du mouvement par une économie de moyen inversement proportionnelle à la poésie et à la profondeur de son propos.
Liste des Å“uvres
— Giovanni Anselmo, L’Altrove mentre La Mano lo Indica, 1980 (L’Ailleurs pendant que la main l’indique) Dessin marouflé sur toile, 250.50 x 140 cm
— Giovanni Anselmo, Mentre la terra si orienta, 2010 (Pendant que la terre s’oriente) Terre, aiguille magnétique, dimensions variables.
— Giovanni Anselmo, Mentre le pietre e i colori sono un peso vivo, 2010 (Pendant que les pierres et les couleurs sont un poids vif). 3 plaques en granit, Balmoral (rose), Labrador (bleu), et Nero Africa (gris), 200 x 3 x 140 cm chaque
— Giovanni Anselmo, Particolare, 1972-2010. 2 projecteurs, diapositives, dimensions variables