L’Adiaf regroupe plus de deux cents collectionneurs et amateurs d’art contemporain. Vous la créez en 1994 au moment où la crise du marché de l’art commence à se faire longue.
Le propos de l’Adiaf n’a pas de lien avec le marché. Lors de la création de l’association, nous voulions dénoncer la quasi-absence des artistes de la scène française dans les grandes collections et les musées étrangers. En dehors des institutions, il y avait une méconnaissance de la scène française. Et ce, même en France où cette situation se traduisait par une pénurie de collectionneurs.
Nous voulions donc essayer de montrer que cette scène française était non seulement existante, mais aussi vivante, et qu’elle présentait autant d’intérêt que les autres scènes actuelles (en particulier anglo-saxonnes).
Il y avait quelque chose de l’ordre de l’irrationnel dans ce total oubli de la présence française. L’idée de l’effritement de la scène française à l’étranger a été reprise dans le rapport Quemin en 1998 qui a d’ailleurs été mal perçu par les institutions.
Monsieur de Villepin est intervenu le 10 octobre au sujet de la création artistique et de sa valorisation sur le plan international. Il confirme, en quelque sorte, le rapport Quemin sept ans plus tard. Dans ce même discours, il a souligné l’aspect positif des actions de l’Adiaf en faveur de la scène française. Il a rendu hommage au Prix Marcel Duchamp et a tenu à rencontrer Claude Closky pour le féliciter.
Notre première action a été d’aider un certain nombre de galeries à présenter des artistes français à l’étranger dans des endroits un peu difficiles : au Japon, à la foire de Chicago, etc. On aidait au financement de ces expositions. Nous sommes ensuite entrés un peu plus dans le vif du sujet. Nous avons organisé des expositions à l’étranger d’artistes de la scène française avec des œuvres directement issues des collections privées françaises.
Dans ce second temps, nous avons donc essayé de fédérer les collectionneurs et de les inciter à se montrer plus actifs. Il ne suffit pas de collectionner, mais il faut prendre part à la vie artistique, soutenir les artistes de façon, un peu à la façon de mécènes, en finançant des catalogues ou en produisant des pièces par exemple. Nous avons aussi organisé une exposition au musée de Tourcoing à partir de collections privées françaises (œuvres françaises, mais aussi étrangères). Elle montrait les tendances des achats de ces collectionneurs durant les trois dernières années et les particularités de ces collections par rapport à celles des institutions.
Et le Prix Marcel Duchamp…
Enfin, nous nous sommes particulièrement consacrés à la création et au développement du Prix Marcel Duchamp. Ce prix des collectionneurs montre leur engagement et les met face à leurs responsabilités vis-à -vis de la scène artistique française en désignant chaque année quelques artistes qui leur paraissent représentatifs, connus mais pas encore reconnus.
Ces artistes sont choisis par un comité de sélection, renouvelé chaque année, et composé de collectionneurs de l’Adiaf, très impliqués dans le monde de l’art. Puis, c’est un jury qui désigne le lauréat. Ce jury (1), lui aussi différent chaque année, est composé de sept membres dont le pivot est Mme Matisse Monnier, l’ayant-droit moral de Marcel Duchamp, entourée de trois collectionneurs et trois conservateurs.
Nous avons toujours, en dehors du directeur du Centre Pompidou, un ou deux conservateurs étrangers ainsi qu’un ou deux collectionneurs étrangers, constituant ainsi un jury à moitié français à moitié étranger.
La présentation des candidats se fait par le biais de rapporteurs choisis par les artistes eux-mêmes. C’est une caractéristique du Prix Marcel Duchamp qui permet ainsi d’engager un dialogue entre les membres du jury et les rapporteurs (2).
Le Monde a présenté le Prix Marcel Duchamp comme l’équivalent du Turner Prize. Depuis quelques années, les prix se multiplient à l’instar des foires d’art contemporain: le prix Petrobas, le BP Portrait Award, The Carnegie Art Award, le Max Mara Art Prize for Women à Londres, et aussi le Beaux-Arts Award décerné par le magazine français. Que pensez-vous de la multiplication de tous ces prix? Vous avez vous-même reçu un prix il y a deux ans, le Montblanc du mécénat culturel.
J’étais auparavant dans l’industrie, et bien que l’idée du Prix Marcel Duchamp m’accompagne depuis très longtemps, je me suis toujours refusé à le faire à cette époque-là , car je pense que le mécénat se caractérise avant tout par la générosité et la discrétion.
Toutefois, qu’il y ait des prix, c’est très bien, cela donne la possibilité de faire connaître des artistes à un certain nombre de gens et, avant tout, cela aide les artistes, ce dont je ne peux que me réjouir.
Depuis sa création, le Prix Marcel Duchamp fonctionne en partenariat avec le Musée national d’Art moderne. Les lauréats peuvent ainsi être exposés au sein de l’Espace 315. Cette année 2005, vous avez instauré un partenariat avec la Fiac où les artistes nominés peuvent présenter leurs œuvres. Les précédents lauréats exposeront également ensemble à la prochaine foire de Cologne. La Fiac, c’est évidemment un rendez-vous très important. Je trouve déterminant et à la fois très généreux de la part du Musée national d’Art moderne d’avoir accepté que les artistes désignés soient exposés la Fiac. Un de nos buts est de faire connaître les artistes du Prix Marcel Duchamp à un public français, mais aussi international. Jusqu’à présent seul le lauréat bénéficiait d’une exposition au Centre Pompidou. Grâce à la Fiac, un grand nombre d’étrangers et de français intéressés par l’art contemporain ont eu la possibilité de voir les nominés. C’est un résultat extrêmement intéressant, car notre ambition est que les artistes français soient mieux connus et mieux compris par les collectionneurs.
Nous avons eu aussi la possibilité de présenter les Lauréats du Prix Marcel Duchamp l’année dernière à Moscou, et cette année à la foire de Cologne. Ce sont d’excellentes occasions de mieux faire connaître la scène française aux collectionneurs étrangers.
On compare la santé actuelle du marché de l’art à la période précédant la grande crise du début des années 90. Croyez-vous que l’histoire peut se répéter?
Tout peut arriver, c’est évident, mais je ne vois pas à l’heure actuelle de nuages à l’horizon. Les incidents des années 90 ont quand même donné naissance à un renouveau dans le marché de l’art beaucoup plus important que ce qui existait avant. L’art contemporain est perçu de manière de plus en plus forte. Même s’il y a des incidents, les grands artistes, s’en sortent toujours. Je ne suis pas du tout pessimiste.
Pour finir sur une note plus légère, un petit top 5 : quels sont les artistes français les plus côtés du moment?
Je suis très mal les côtes, je ne vais jamais dans les ventes aux enchères, ça ne m’intéresse pas beaucoup. Il y a les artistes déjà confirmés: les Boltanski, Annette Messager, Soulage, Buren, Jean-Pierre Raynaud, Raymond Hains, etc. Puis dans la génération suivante, des artistes comme Pierre Huyghe, Fabrice Hyber, Bustamante, etc. Ce sont pour moi des artistes essentiels dans le sens où on ne peut pas passer à côté, on n’en a pas le droit. Ils sont le tissu même de la création et de la sensibilité françaises. Ce sont eux qui ont porté la nouvelle génération.
Et quels seraient pour vous les cinq talents les plus prometteurs?
C’est plus difficile… Mais on peut penser à tous les nominés du Prix Marcel Duchamp. Ce sont eux qui imprègneront les générations futures.
Notes
(1) Jury du Prix Marcel Duchamp 2005: Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’Art moderne / Maria de Corral (Espagne), directrice de la Biennale de Venise / Gilles Fuchs (France), président de l’Adiaf, collectionneur / Anton Herbert (Belgique), collectionneur / Jacqueline Matisse Monnier (France), artiste / Hans Ulricht Obrist (Suisse), commissaire d’exposition / Alain Dominique-Perrin (France), président du Jeu de Paume, collectionneur.
(2) Rapporteurs en 2005 : Marie-Claude Beaud, directrice artistique du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean, pour Claude Closky / Jean de Loisy, commissaire d’exposition et conférencier / Catherine Millet, écrivain, critique d’art, commissaire d’exposition et rédactrice en chef de Art Press / Thierry Raspail, directeur des musées de Lyon.