Le Festival d’automne et le théâtre de la Cité internationale programment cette saison deux propositions de la jeune chorégraphe Mette Ingvarsten, issue de la promotion 2004 de PARTS, l’école bruxelloise créée par Anne Teresa de Keersmaeker. Son duo sur trampoline It’s in the Air, écrit avec Jefta van Dinther, exposait des corps rendus photogrammes par le rythme des sauts et donnait à voir des individus partagés entre virtuosité et perte de contrôle, sans stabilité, toujours producteurs de mouvement et d’espace. Pour Giant City, huit corps se laissent traverser par le souvenir des flux incessants qui parcourent la ville et interrogent la manière dont l’espace urbain est fabriqué par l’humain.
Mette Ingvarsten parvient à lier la difficulté d’approche d’une danse parfois conceptuelle, une danse non narrative et ancrée au mouvement, riche de sa propre histoire et les multiples champs de la culture contemporaine. Elle mêle exigence de précision, abstraction et plaisir ludique dans ces corps qui construisent l’espace urbain tout en étant construits par lui. Ludique car les danseurs semblent expérimenter les sensations dues aux différentes manières d’être dans la ville, se déplaçant en intégrant sans cesse ce qui arrive. Dans cette fiction chorégraphique, où plutôt dans cette science-fiction chorégraphique tant l’idée d’un futur fluctuant est présente, les corps fonctionnent selon un principe de réalité augmentée: ils deviennent corps réactifs à l’information qui les entoure. Au lieu de seulement réagir à un déplacement dans l’espace, ils réagissent à tous les flux imaginables.
Portée par un intérêt théorique, la prise en compte de la notion d’architecture immatérielle – une ville façonnée par les flux d’argent, d’échange, d’air, d’information – mais aussi le travail de la géographe Doreen Massey sur la manière dont les relations entre les individus construisent l’espace, Giant City tisse lentement un ensemble de liens, un véritable réseau entre les corps. Au départ, chacun d’eux semble secoué par des ondulations accompagnées de crispations du visage. Les vibrations s’accélèrent ou s’amplifient, les corps se rejoignent et s’organisent. Une bande son très construite mais aussi des lumières variables, le bruit d’une couverture de survie froissée, tout concourt à une immersion totale dans la vibration et le grésillement.
Lorsqu’ils sautent ensemble, les danseurs apparaissent clairement comme producteurs d’énergie: les gradins tremblent, l’environnement se transforme. Cette transformation effectuée, les corps agités de tressautement apparaissent fortement liés. Suite à une explosion de rouge, le noir se fait. L’air demeure un moment empli de ces pulsations, la salle est envahie par l’espace urbain, défini ici comme un mélange d’énergies sonores, lumineuses et cinétiques. La représentation des corps est intelligemment double: instables et victimes de la ville, ils sont aussi flexibles, capables de s’adapter et de créer.
La qualité des états de corps, la précision des gestes, l’extrême présence des interprètes permettent d’effleurer la complexité des rapports spatiaux et immatériels qui lient un l’individu à son milieu. Entre description et projection imaginaire, Giant City est une danse de l’infime, une écriture du sensible en prise aux questions humaines. Un travail à suivre.
— Chorégraphie: Mette Ingvartsen
— Lumière: Minna Tiikkainen
— Son et dramaturgie: Gerald Kurdian
— Avec: Sirah Foighel Brutmann, Dolores Hulan, Mette Ingvartsen, Sidney Leoni, GuillemMont De Palol, Chrysa Parkinson, Manon Santkin, Andros Zins-Browne