Stéphane Bouquet. Vous avez étudié aux Beaux-Arts de Cergy, à la formation de danse Ex.er.ce à Montpellier, vous faites beaucoup de musique. Comment vous définiriez-vous?
Gérald Kurdian. Je suis vraiment un musicien à la base. Je fais beaucoup de musique électronique, des accords simples, esthétiques, plutôt lo-fi, avec des outils un peu pauvres. Ce sont des chansons basiques. De la pop. Mais c’est vrai que mes études ont influencé les questions que je me suis posées et que je me pose encore. À l’époque aux Beaux-Arts, il y avait toute cette philosophie de l’art relationnel, du rapport à la durée et aux autres. C’était aussi des questions que l’on retrouvait dans la danse des années 2000 qui était en train d’avaler tout le vocabulaire de l’art contemporain. Mais je trouve que l’art contemporain pose parfois la question du spectacle et de la relation de manière un peu maladroite. Ils font du relationnel dans des galeries d’art qui sont des endroits dévolus au commerce et pas à la relation.
D’où la pop?
Gérald Kurdian. On ne peut pas s’inventer un style, on travaille dans des dynamiques internes, c’est le corps qui décide. Mais il est vrai que j’ai un travail qui s’intéresse à la notion de collectif, qui se pose la question du groupe: que peut-on faire circuler dans un groupe? La pop crée un espace qui est une espèce de zone franche, où les affects circulent facilement, où l’interprète est plus émouvant que problématique. J’ai un groupe de musique électronique, ThisistheHelloMonster, et je me sers de ce groupe pour comprendre le spectacle, la performance spectaculaire, la relation du performeur à son public. Par exemple, en quoi le spectacle d’aujourd’hui est-il dans la continuité du spectacle d’avant: le chamanisme, les bals, le carnaval, les moments collectifs où l’on célébrait les morts, où l’on fêtait le printemps? Et comment le performeur remplit-il sa responsabilité de chamane? Comment peut-il renvoyer mystères, folies, peurs, à la société?
Concrètement, comment The Magic of Spectacular Theater intègre-t-il ces questions de la relation avec le public ?
Gérald Kurdian. C’est un concert, un vrai concert de musique indépendante —pas une mise en scène de concert— où l’on se sert des espaces entre les morceaux, des breaks, des zones où il n’y a que des basses par exemple, pour ramener autre chose: discours, images, objets, qui permettent de mettre ces questions en scène. Dans un de mes précédents spectacles, 1999, j’utilisais un écran et un appareil photo pour faire un film pendant le concert. Il y avait de ce fait deux situations en même temps: la scène et l’écran. L’écran faisait une sorte de zone franche, encore une fois, qui appartenait à tout le monde.
Et cette fois-ci?
Gérald Kurdian. Dans The Magic of Spectacular Theater, pour parler de notre monde virtuel, des nouveaux espaces de perceptions mentales que ce monde propose, j’avais envie de créer un décor d’écran d’ordinateur. Tout se passe comme dans un écran d’ordinateur. On est dans cet espace et le réel se dissout un peu. L’exemple parfait, c’est pomme Z (annuler). Il peut m’arriver de faire pomme Z sur le plateau, de faire quelque chose et de l’annuler. On entre dans la logique de communication et d’invention qui est celle des technologies.
De quelle manière avez-vous travaillé avec Philippe Quesne?
Gérald Kurdian. J’ai fait appel à lui pour son rapport à l’objet, au fétichisme, à son passé de compositeur d’espace. Et je lui ai proposé de réfléchir à des dispositifs, des machines qui me permettraient de donner à mon corps des capacités magiques: lévitation, disparition, métamorphose. C’est une des grandes différences de The Magic of Spectacular Theater avec mes spectacles précédents. J’essaie de poser la question de l’écriture chorégraphique. Je crois que la chorégraphie, c’est jouer sur un régime de forces et d’intensités dans le temps. Alors j’aimerais proposer un corps de performeur qui change tout le temps parce qu’il est toujours autre chose (avatar, hologramme) ou simplement parce qu’il porte un nouveau costume.
Allez-vous à nouveau recourir au film?
Gérald Kurdian. Oui, mais pas de la même façon. J’essaye de travailler à construire en direct un clip monté à partir des images du spectacle et qui pourrait sortir du spectacle et aller dans le réel, par exemple servir de promotion à mon prochain album. Ce qui m’intéresse, c’est de mener un projet global qui s’inscrit dans toutes les dimensions de l’économie du spectacle vivant.
Justement, en termes économiques, vous chantez plutôt en anglais ou en français? Qui est votre public?
Gérald Kurdian. J’ai chanté en anglais pendant très longtemps et là je me tourne vers le français. Moitié moitié, je dirais. Et c’est intéressant parce que d’un coup, ça devient un espace pour le discours alors que l’anglais n’en était pas vraiment un. Ce que j’utilise en français, ce n’est plus la langue pop (you, me, love, etc.) mais c’est une langue qui peut expliquer d’où je viens, ce que je suis en train de faire. Du coup, je me sens plus intègre.
Entretien réalisé par Stéphane Bouquet.
Avec l’aimable collaboration du Théâtre de la Cité Internationale.
Programmation
Gérald Kurdian, Thisisthehellomonster! et Philippe Quesne
The Magic of Spectacular Theater
Théâtre de la Cité Internationale
Les 9, 10, 15 et 16 nov. 2012
Jeudi à 19h30
Vendredi, samedi à 22h