Sous le titre «Schatzbildung», référence marxiste difficilement traduisible, qui recoupe l’idée de thésaurisation et celle de création de richesse, Jean-Baptiste Ganne revient sur l’ensemble de son parcours, depuis ses années de formation, avec un message politique fort et engagé.
Une performance dans la citerne de la Villa Médicis fait écho à son agressif Vendesi, à côté de dessins évoquant les émeutes grecques. Le mur principal est couvert par la série photographique Le Capital Illustré, jeu d’illustration, d’évocation et de ré-écriture avec Le Capital de Karl Marx. On retrouve dans cette diversité le goût de Jean-Baptiste Ganne pour le dialogue entre les disciplines, mariage de l’écriture, des performances, des installations et de la photographie. Tout s’articule autour de sa définition de l’art comme « représentation du politique, et politique de la représentation ».
Représentation du politique
« Un spectre hante l’Europe », et ce spectre, Jean-Baptiste Ganne le révèle : il relit le vocabulaire souvent austère et abstrait de Marx dans une imagerie prise sur le vif de la fin des années 90. Sa technique, proche du photo-reportage, rappelle l’interprétation par Guy Debord de «la société du spectacle», où les images ne sont plus qu’un medium, une mise en scène des relations sociales.
Face à cette Å“uvre, une série de dessins en noir et blanc figure des émeutiers ou des policiers se battant avec des tulipes géantes. Très dynamiques, d’une scénographie épurée, ces dessins montrent l’essence de la lutte, mais décalée, rendue absurde par la présence des tulipes. On ne la comprend qu’en se souvenant de la tulipomanie des collectionneurs hollandais du XVIIe siècle, souvent présentée comme la première explosion d’une bulle spéculative, symbolique des paradoxes du capitalisme.
L’exposition est complétée par deux Å“uvres, de plus petit format : un panneau Vendesi, orange vif, installé lors de la première collaboration de Jean-Baptiste Ganne avec la galerie À Vendre. Il avait alors créé un numéro de téléphone, sur lequel un répondeur détaillait avec une invraisemblable profusion de détails inutiles les qualités d’un espace à vendre, se moquant ainsi de la spéculation immobilière. En face, un cube de papiers bleus entourant les rouleaux à pièces est vendu pour très exactement 10.000 euros : c’est la somme que contenait ces rouleaux, lorsque Jean-Baptiste Ganne les a demandés à la Villa Médicis, pour tapisser de pièces de dix centimes la citerne du bâtiment, dans une allusion ironique à la fontaine de Trévise, et au fétichisme associé à la monnaie.
Politique de la représentation
L’humour de «Schatzbildung» ne va pas sans réflexion : c’est une ironie intellectuelle, d’autant plus mordante qu’elle demande des références. Comme son art, c’est un perpétuel dialogue entre textes et images, entre les grands mythes que sont Le Capital ou pour d’autres Å“uvres Don Quichotte, et le monde contemporain.
Les Å“uvres, sorties de leur contexte, prennent une signification opposée : les belles tulipes cachent une critique du capitalisme, les top models illustrent le matérialisme historique de Marx, la rutilante citerne de la Villa Médicis, pavée d’or, dénonce la monnaie devenue fétiche.
Jean-Baptiste Ganne se devine tout en références, en liens, en niveaux d’interprétations, et échappe aux présentations trop intellectuelles : ses Å“uvres s’inscrivent dans un contexte matériel, sans lequel elles ne peuvent être comprises. Elles s’exposent d’ailleurs dans la partie dite «Le Château» de la galerie, ancien générateur électrique transformé en espace d’exhibition, juste à côté d’une Carte blanche à l’atelier Tchikébé : une coopérative artisanale d’imprimeurs-encadreurs dont le travail, d’une exigence remarquable, met en valeur des sérigraphies de Moulenc, Villéglé, Vismanté, Closky et de nombreux autres, qui présentent pour certains des inédits.