En réunissant pour la première fois tous les plus grands noms du graffiti — Jonone, Cope2, Nunca, Ray, Lokiss, Psykose, etc. —, la galerie Magda Danysz poursuit son travail d’inscription de l’art urbain dans le champ plus vaste de l’art contemporain.
Cherchant à atténuer la ligne qui sépare l’art populaire de l’art cultivé, toute l’exposition hésite entre un devoir de mémoire (aux origines vandales de cet art) et l’affirmation sans complexe d’un «art graffiti» débridé et inventif n’ayant qu’un rapport esthétique à son passé.
Au départ, le graffiti est une revendication tribale, une manière illicite de se réapproprier la ville, d’intervenir en elle pour y tracer de nouveaux territoires. Le graffiti est un geste plutôt qu’une œuvre — un style; une manie qui se répète et qui n’est pas destinée à évoluer.
L’oeuvre de JoneOne est un clin d’oeil à cette dimension «maniaque» du graffiti, rétive à toute interprétation. En couvrant mécaniquement sa toile d’un même tag, répété couche après couche jusqu’à la dernière apparente, il met en scène cette obsession de la répétition tout en l’assignant à un cadre qui lui donne ordre et mesure. Ici, les bords de la toile symbolisent l’impossible subordination du graffiti au strict domaine de l’art.
Toute la série des petits formats de Psykoze peut être vue, elle aussi, comme une allusion ironique à cet enfermement du graffiti à l’intérieur d’un cadre: d’une pratique sauvage, il devient un travail minutieux; de l’étendue d’un mur il se réduit à la surface d’une toile; d’une réalité forte et transgressive, il devient une mise en série soignée et coûteuse.
Poussant plus loin encore ce rapport problématique du graffiti sauvage à l’art cultivé, la vidéo de Lokiss nous confronte à la mort symbolique d’un tageur : happé par des bruits stridents, un homme, de face, nous dévisage. S’emportant contre la caméra et contre le spectateur qui le regarde, il nous entraîne avec lui dans sa chute. Grattant le sol, il ne trouve qu’une terre grasse où sa peinture s’enfonce et disparaît. Seul, face à des murs blancs, il n’a plus d’autre choix pour satisfaire son désir d’écrire que de faire de son corps même l’instrument et l’encre de son dernier délit.
Une fois cette mort consommée, s’élèvent alors devant nous les portraits de Newtone comme des icônes orthodoxes célébrant le culte des ancêtres morts au combat. Ce n’est plus du graffiti, c’est une commémoration, une marque de gratitude et de piétée filiale.
L’œuvre de Rey, pour finir, nous offre la possibilité d’une rédemption: en faisant de ses tags l’ébauche d’une calligraphie à venir, il revient à l’essence même du graffiti, là où toute allusion est consommée et où tout peut enfin recommencer à zéro.
En un sens, l’exposition «Game over» porte bien son nom. Elle rend hommage au graffiti plutôt qu’elle ne le montre. Elle le revisite, comme l’art contemporain se réapproprie librement des moments achevés de son histoire.
Jonone
— Sans titre, détail, 2007. Peinture sur toile. 120 x 120 cm.
— Sans titre, détail, 2007. Peinture sur toile. 300 x 100 cm.
Nunca
— Sans titre, 2007. Peinture sur bois. 800 x 300 cm.
José Parla
— Sans titre, 2007. Travail sur papier. 70 x 100 cm.
David Ellis
— Sans titre, 2007. Peinture sur mur. Détail.
West
— Sans titre, 2007. Acrylique sur toile. 135 x 135 cm.
Zeus
— Sans titre, 2007. Néon, peinture. 250 x 80 cm.
Maya Hayuk
— Sans titre, 2007. Peinture sur mur. 135 x 135 cm.