Communiqué de presse
Yann Paolozzi
Game Boy
Tickets de métro pliés, photomatons jetés, photos de classe d’enfants de Chicago achetées aux Puces, tickets de vestiaire, cash receipt de l’autopark de South San Pedro à Los Angeles, modes d’emploi de pistolets ou de camions, publicités de matelas ou de jouets, notices de sécurité en vol, codes en tout genre, etc. : Yann Paolozzi récolte comme autant de ferments de création toutes ces empreintes anonymes, ces tampons, ces sigles industriels, qui marquent notre humanité comme les chiffres aux oreilles des vaches promises à l’abattoir.
Il les conserve amoureusement dans de petits sachets plastiques, preuves irréfutables de l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, ainsi que le prétendait l’élégant lord anglais Thomas de Quincey.
Archivant ces banques de données dans son garage hermétique, Paolozzi assemble ensuite ces débris d’humanité, en les décalquant, les agrandissant, les repeignant, les imprimant ou les collant au sein de grandes compositions paysagères horizontales. Macadam cowboy de nos métropoles numérotées, le jeune artiste utilise tous ces tatouages mécaniques pour marquer la peau de ses toiles : marque des esclaves, marque de fabrique, marque et démarque. La beauté est dans le chiffre, les stickers sont les armoiries de notre modernité.
Certains ne manqueront pas de voir dans cette numérique du pauvre un avatar du Pop Art et des surimpressions sérigraphiques de Robert Rauschenberg ou d’Andy Warhol. Il est vrai que le Français se nourrit d’Amérique, de ses séries télé, de ses films d’action, de ses voitures pour Starsky et de ses jets pour Hutch, de ses autoroutes pour meurtre au motel et de ses girls pour bikers.
Mais cette frénésie d’estampage, Paolozzi ne l’a pas contractée aux Beaux-Arts. Un peu comme Basquiat découvrant un livre d’anatomie lors d’une maladie, c’est en travaillant pendant quelque temps à l’emballage, dans une entreprise d’hélicoptère, qu’il s’est rendu compte de la force implacable et parfaite du code industriel. A force de tamponner pièces de rechanges et colis divers, l’artiste a réalisé sa propre chute du Faucon Noir. De cette avalanche de logos, il a fait une loghorrée esthétique, où l’incontinence de langage devient langage.
Regardons bien, regardons mieux. Comment ne pas voir dans l’œuvre émergente de ce jeune homme originaire d’Italie comme une résurgence et une prolongation urbaine de l’œuvre terrienne du Catalan universel Antoni Tapies, de ses tableaux de murs lacérés qui gardent la trace d’un être humain.
S’il a abandonné depuis longtemps ses premiers essais en terre et matière, Paolozzi, dans ses graffitis rassemblés, ses épures d’architectes de la poubelle et de la ville, distille la même attente de sens. Ce qui signifiait ne signifie plus. Le simple estampage est devenu signe de vie, et c’est tout. A l’ère du tout-image, une image en vaut une autre. S’il y a choix, il est dans la mixité plus que dans la confrontation : le signe graphique du daim renvoit au dessin d’une voiture de police, et plus du tout au nonsense d’Alice au pays des merveilles.
Malgré sa facture clinique, l’art proliférant de Paolozzi se situerait dans une postérité baroque et méditerranéenne, où une ligne devient une liane sans début ni fin, qui se fond et se confond avec une autre. Plus « sudiste » encore, sa manière froide et synthétique évoque les pionniers de l’estampe japonaise, les Hokusaï et autre Hiroshige, qui s’efforçaient de réduire la nature à un langage simplifié et reproductible. Paolozzi, lui, décline le monde à la façon de quelque bagage en partance à l’aéroport, en l’oblitérant sous toutes ses coutures.
La beauté, c’est le vol.
Emmanuel Daydé – Juin 2006.