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Gaël Davrinche: «Solo Show»

Bettie Nin. Depuis une dizaine d’années, ta peinture explore principalement le genre du portrait. D’où provient ta fascination pour ce thème?
Gaël Davrinche. Mes réflexions et mes sentiments me portent naturellement à m’intéresser au genre humain, à soi, aux autres, aux relations entre les uns et les autres. Et c’est vrai que, dans la peinture classique, le portrait est, dans un premier temps, le genre qui m’a le plus touché. À l’heure où notre société capitaliste bat de l’aile, où notre monde politique et économique marche sur la tête, j’éprouve aujourd’hui plus que jamais le besoin d’interroger l’individu sur sa position dans notre société, son rôle, son attitude, sa relation au monde et aux autres, ses aspirations, ses contradictions etc.

Tu as longtemps décliné la série des Revisités, une série de peintures de grands formats reprenant les parangons de l’art classique, de l’Ecole de Bruges et de la Renaissance. Je pense à La Jeune fille à l’hermine de Leonard de Vinci, par exemple, ou à l’Homme au turban de Jan Van Eyck. Quel est ton rapport à ces grands maîtres et à l’Histoire de la Peinture avec un grand «H»?

Gaël Davrinche. J’étais en quête de guides et ces grands maîtres sont devenus des pères, aussi bien sur le plan de la technique de la peinture que sur une manière de retranscrire le vivant en général, et la figure en particulier. Toute cette série des Revisités m’a permis d’analyser en profondeur les tableaux de ces génies, de comprendre pourquoi ils sont allés vers telle ou telle facture, tel ou tel choix dans les sujets. J’ai alors constaté que le portrait pouvait parfois passer au second plan au bénéfice d’un accessoire. Le turban, la collerette ou la fraise autour du cou tenait l’œuvre et faisait le tableau. Cette quête du père m’a ainsi fait avancer assez vite dans la diversité des possibles.

Tu travailles aussi beaucoup à partir de ton propre visage. J’ai l’impression que tu cherches, à travers ces portraits autofictionnels, à comprendre et peut-être même à recenser toutes les images anecdotiques de l’artiste, les mythes autour du créateur…

Gaël Davrinche. En fait je me suis demandé comment échapper à tout ce qui avait déjà pu se faire dans le genre très complet de l’autoportrait? L’autoportrait ramène évidement à l’image qu’on veut donner de soi. Aujourd’hui, si je me pose en autodérision dans mes peintures, c’est dans une volonté de rester en deçà des grands maîtres revisités, pour les mettre à l’honneur autant que pour les singer. Rembrandt a d’ailleurs beaucoup joué avec son propre personnage en se montrant en oriental paré de turbans ou d’autres accessoires. Il a désacralisé l’image de l’artiste.

Pour ta première exposition personnelle chez Magda Danysz, une nouvelle série met à l’honneur l’accessoire en tant qu’élément signifiant dans le portrait classique. Peux-tu nous parler de ces nouveaux tableaux et du rapport qu’entretiennent les objets et les personnages?
Gaël Davrinche. Tantôt poétiques, tantôt critiques, sarcastiques ou humoristiques, les portraits ou autoportraits que je peins sont jonchés d’attributs incongrus qui peuvent avoir la fonction symbolique d’éclairer l’activité du personnage. Utilisés à contre-emploi, ils peuvent également ouvrir le portrait au champ joyeux de la curiosité d’interprétation. Ils prennent alors une étrange tournure dont le sens reste obscur, incompréhensible, tout au mieux interrogatif, entre humour et gravité.
Par exemple, l’image qui a fait l’objet du carton d’invitation montre un homme portant des lunettes et des gants de boxe sur la tête tout en n’ayant rien d’un boxeur. Cela m’a permis de dévier l’idée du combat inhérent au sport vers celui plus hypothétique mais bien réel de la vie au quotidien.
Les accessoires qui jonchent mes portraits expriment cette dualité entre l’être et le paraître. L’accessoire est synonyme de superflu, de dérisoire, d’insignifiant. Il flatte l’ego et peut parfois participer à l’accès d’une certaine classe sociale.
Dans une deuxième peinture, c’est l’objet qui m’a amené au portrait. Il s’agissait d’une toque russe en poil de loup avec sa queue et ses pattes. J’ai souhaité y fixer un piège, pour mettre en lumière un certain rapport critique entre l’animal et l’accessoire.
Et puis il y a un grand portrait de ma femme Sarah qui reprend un des objets récurrents de la série des Revisités: la collerette, la fraise. Ici, cette fraise est un emballage en polystyrène de téléviseur ou de chaudière – peu importe, de quelque chose servant à protéger les objets. La notion de recyclage est alors mise en abîme. D’une part, en ironisant l’Histoire de la peinture par la référence à Rembrandt et Velasquez (comme cet autre portrait d’une vieille femme affublée d’une passoire, qui fait référence à L’homme avec le Casque d’or de Rembrandt), d’autre part, en réhabilitant le matériau pour lui octroyer une nouvelle fonction.
De plus, cet emballage illustrant l’idée première de protéger place la personne représentée dans une posture ambivalente. La collerette peut être lue soit comme un écrin protecteur, soit comme une guillotine. L’accessoire apporte dans ce cas une certaine dramaturgie contraire à sa mission première.
Je cherche à traduire une ambiguïté, un glissement, un déséquilibre. Je joue ainsi avec les codes mais cherche en définitive à ne pas diriger la lecture, à laisser ouvert le champ des possibles.
La peinture est ma priorité. C’est pourquoi les objets que je peins autour des portraits ne sont pas « calés» d’un point de vue perspectif, que je ne suis pas dans l’hyperréalisme. Je cherche par contre à créer une instabilité visuelle, à véhiculer un vertige: celui de la réalité.

Tes fonds participent de cette instabilité visuelle. Ils ont beaucoup d’importance dans ta peinture et semblent être des territoires initiaux d’où jaillissent les portraits.
Gaël Davrinche. Je me suis toujours posé la question du fond. C’est une question extrêmement complexe. Avant les Revisités, j’avais systématiquement des fonds blancs, des fonds neutres, et une figure positionnée dans un espace néant.
Quand j’ai commencé à mettre de la couleur, je suis parti sur des fonds noirs, avec La Jeune fille à la perle par exemple, mais cela n’amenait pas plus de sens que les fonds blancs.
Et puis j’ai repris des tableaux où je plaçais des figures enfantines, d’abord sur des papiers peints tels des murs de salon taggués par un enfant, puis sur les murs des musées, en reproduisant des codes empruntés à Buren, Toroni, ou Morris Louis. Récemment, j’ai repris aussi bien des papiers peints que des références à Cy Twombly ou à Rothko. Je relègue ainsi en arrière-plan une œuvre du passé.
Dans la série des peintures de fleurs, les fonds sont spécifiques. Ils sont dégoulinants, ruisselants, pollués. Une fleur fane mais va renaître. Grâce au fond, je peux poser la question de l’espace dans lequel elle va renaître – à l’heure où se posent tant de questions sur l’environnement.

Tu peux donc être grinçant. L’ironie est d’ailleurs présente dans tes œuvres. Parfois seulement en filigrane, mais souvent de manière très évidente. Qu’apporte l’humour à tes représentations?

Gaël Davrinche. Je trouve que l’humour n’est pas incompatible avec la notion d’œuvre d’art, et n’a pas à être réservé à la BD ou à la caricature. J’aime m’amuser d’une œuvre, dégager sa force ou sa beauté et, en même temps, singer les maîtres comme un adolescent tordrait le cou à son père pour exister. J’ai donc réintroduit cet esprit humoristique dans mes pièces récentes. Je cherche à provoquer, à titiller et, en même temps, je joue l’autodérision. L’ironie est aussi une façon de désacraliser le support et le sujet, le fond et la forme. Alors, je m’amuse de l’Histoire de l’art et de l’idée de produire encore des œuvres.

Ton travail est-il un cadavre exquis de la peinture ancienne? Et vois-tu l’artiste comme une Danaïde condamnée à remplir un tonneau sans fond, qui devrait explorer encore et encore, et se poser sans cesse les mêmes questions autour de la forme, du sens, du fond, de la technique, etc.?
Gaël Davrinche. Les nouveaux médias peuvent peut-être échapper au passé car ils n’ont justement pas encore une très longue histoire. Mais, pour un médium comme la peinture, les questions de la représentation du sujet ou de la technique sont inévitables. Le champ des possibles sur la façon de recouvrir une surface est extraordinaire. De Georges de la Tour à Jonathan Meese, on reste pourtant toujours dans une image faite par le seul geste d’un artiste.
L’exercice de la peinture aujourd’hui est donc comment produire des images nouvelles sans que cette répétition des anciens soit stérile, sans nouveauté. Qu’elle soit montrée ou cachée, visible ou invisible, toute image est issue d’une histoire et fait référence à une culture plus ancienne. J’ai fais le choix de le revendiquer et d’en faire même un sujet de travail.

Justement, se revendiquer peintre aujourd’hui, surtout peintre figuratif, relève-t-il de la contestation? Y a-t-il une pensée réactionnaire voire révolutionnaire dans cette démarche?
Gaël Davrinche. Oui. Peindre aujourd’hui est pour moi une attitude réactionnaire car cela nécessite du temps dans la fabrication de l’image. La peinture impose un état introspectif, de prise de temps pour soi, de contemplation, pour le peintre comme pour le regardeur.
Il est complexe de poser sur le monde un regard neuf et pur, comme peut l’être celui d’un enfant. C’est par le médium de la peinture, un médium long dans son élaboration, en résistance avec l’accélération de nos rythmes de vie où l’homme est tiraillé entre les désirs qu’on lui provoque et son incapacité à les assouvir, que je tente d’interroger autrui sur son rôle et la place qu’il occupe dans nos sociétés essoufflées.

Lien
L’exposition de Gaël Davrinche: «Solo Show», du 5 mai au 16 juin 2012 à la Galerie Magda Danysz (Paris 11e). 


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