Etalées sur les murs, de grandes photographies de paysages, des extérieurs feuillus ou désertiques mais toujours dépeuplés. En vis-à -vis, posés sur des tables, différents objets en terre cuite. Des objets strictement visuels — aucun autre usage, selon toute apparence.
La forme de ces objets est chaque fois singulière: la première salle semble privilégier les choses oblongues (matière allongée, quelquefois coudée), quand la seconde regroupe des blocs plus ramassés, souvent sphériques. En sous-sol, on trouvera quelques compositions étales (matière aplatie) et, surtout, des choses d’assemblage — ici, des formes ovoïdes sont nichées au fond d’un réceptacle, là , de multiples écailles de terre cuite sont façonnées en galette —, en sorte que l’objet devient association de parties plutôt que bloc unitaire, petit entier.
Tous les objets sont frappés des mêmes sceaux, tous diversement poinçonnés: empreintes de la sphère en bois venue infléchir la terre encore humide, empreintes nettement plus sauvages des doigts qui pétrissent la matière, creusent et s’enfoncent avec acharnement dans le bloc… pour exhumer ou déterrer quoi ?
Enfin, l’objet est fendillé ou craquelé, sillonné de crevasses accidentelles apparues, selon toute probabilité, en cours de cuisson. Manière d’enregistrer la tension exercée sur un matériau fragile qui aura fini par céder.
S’agit-il d’objets spécifiques, au sens donné à cette expression par certains artistes qualifiés de minimalistes ? Non. Bien sûr, on retrouve ici la volonté de produire des volumes relativement simples, des formes littérales valant pour ce qu’elles donnent à voir hic et nunc plutôt qu’à imaginer ailleurs — soit dit en passant, l’opposition entre le registre de la perception et celui de l’imagination est contestable — et, en cela, capables de court-circuiter l’institution du leurre.
Mais les objets d’Orozco échappent à la géométrie rigoureuse des œuvres d’un Donald Judd ou d’un Tony Smith, n’hésitent pas à entamer et jusqu’à défaire la forme (un net privilège est accordé à l’accident et à l’irrégularité), ne jouent quasiment pas sur la répétition du même. Enfin, et c’est sans doute le plus important, pour être la plupart du temps innommables, les formes façonnées par l’artiste n’en sont pas moins intimement connectées sur un ailleurs. Autrement dit, ces formes renvoient à autre chose qu’elles-mêmes, sont ouvertes sur un dehors qui permet de comprendre leur jeu.
Voici l’hypothèse: l’exposition nous confronte à autant de formes naturelles qui évoluent progressivement vers un anthropomorphisme voilé.
Déplions la proposition…
Des formes naturelles: s’il y a des photographies face aux objets, ce n’est pas à titre de complément ou de supplément d’images. En fait, ces photographies de paysages mettent visiblement l’accent sur le relief, autant d’aspérités, de bosses, de creux ou de monticules constitutifs d’un véritable répertoire de formes. Cheminant des photos aux terres cuites, l’œil du visiteur est soudain frappé par la coïncidence: le modelage de l’objet semble se déduire ou procéder du monde. L’articulation entre images et objets s’élucide: les photos dévoilent la fonction matricielle du monde naturel, premier réservoir, premier laboratoire des formes. Du monde, Gabriel Orozco n’imite aucun objet, lui empruntant plutôt son inépuisable plasticité.
Des objets anthropomorphes: il y a dans certaines formes oblongues quelque chose du bras, dans certaines formes rondes, un peu du crâne ou de la tête d’homme; ailleurs, un torse émerge de cette matière décidément pétrie comme de la chair, à la surface craquelée comme une peau… Alors, ce n’est plus seulement la plasticité du monde qui se réinvente sous nos yeux, mais encore l’organicité de ses créatures: la table devient table d’anatomie et, disséminés un peu partout, les morceaux d’un corps démembré, des organes isolés. Terrible expérience visuelle.
La série de photos intitulée Cemetery représente des tombes dans le désert, couvertes de grands bols en terre cuite: l’objet modelé est associé au corps invisible, enfoui juste en dessous. Cemetery propose, en condensé, une figure très forte (très éclairante) de l’œuvre déployé tout autour : les mains d’Orozco creusent la terre — disait-on —, la travaillent, mais pour exhumer quoi ? Un peu de l’homme ou de l’humanité ?
Gabriel Orozco
Ensemble de différents modelages en terre cuite.
Seize photos en couleur (format 81,5 x 115 cm) :
— Cemetery # 1, 2, 3, 4, 5, 6, 2002.
— Stone Path, 2002.
— Drawing, 2002.
— Total Perception, 2002.
— Pozo (Well), 2002.
— Roofs and Rock, 2002.
— Descending Path, 2002.
— Toilette, 2002.
— Rubbed Bricks, 1991.
— Standing Bicycle, 2002.
— Field with Path, 2002.