L’action présentée par Etienne de Fleurieu et Anne Charozé a pour thème la « fugacité ». Ces deux jeunes artistes ont en commun de figer une réalité changeante, éphémère, de capter un moment de la réalité. Bref, d’avoir un pouvoir sur le temps qui passe, de l’arrêter, de lui subtiliser quelque chose.
La première œuvre d’Etienne de Fleurieu est un immense panneau, de la taille d’un écran de cinéma de petite salle, composé en réalité de trois panneaux d’égale dimension. Dessus sont assemblés les unes à coté des autres, à la verticale, des bandes de film 8 mm sur lesquelles des vues du ciel ont été impressionnées.
Ces milliers de photogrammes représentant chacun du ciel et des nuages de façon différente selon la lumière, le cadre, l’instant de la prise, le contenu, rappelle le principe inauguré par le cubisme qui consiste à prendre des éléments de la réalité de tous les jours pour en proposer, une fois assemblés, une nouvelle synthèse. On pense également à l’impressionnisme qui offre de loin et de près un spectacle différent.
Ainsi, de loin, la vision contrastée de toutes ces bandes de films bleutées, noires, grises ou vertes présentant une multitude de petits carrés redoublés par les carrés blancs des perforations de la pellicule, donne à l’œuvre entière un scintillement, un aspect un peu industriel, harmonieux, monumental, subtil dans le mélange des couleurs, des différents éclairages. «Quand je filme le ciel, explique Etienne de Fleurieu, je peux imprégner ma pellicule de toutes ses spécificités, de tous ses changements qui ont lieu en fonction des heures, du temps météorologique et des climats. Au final, j’obtiens une palette de couleurs».
De près, c’est un autre spectacle qui s’offre à nous. La multiplication de ces bouts de ciel de couleurs et de clartés multiples compose une vision partielle du monde et nous met dans la position d’un géant qui se pencherait sur un détail à chaque fois différent de la nature. En outre, le fait de se voir dans les tableaux (le panneau recouvert d’une pellicule reflète à taille réelle le spectateur) donne l’impression de dominer cet univers. Tout cela crée l’impression d’une concentration du temps qui passe, et une vision à la fois claire et heureuse de la nature, mais aussi quelque peu angoissée par ce besoin monumental de la capter. « J’ai essayé de figer quelque chose d’aussi immatériel et malléable que le ciel », commente Etienne de Fleurieu.
Sa deuxième œuvre joue avec le temps puisqu’il s’agit d’une œuvre « évolutive » où, dans un format plus modeste, il a réuni d’autres vues qui virent du bleu au vert clair en fonction des effets de la lumière et éventuellement de l’humidité. A partir de la même volonté de figer l’éphémère, l’immatériel, le temps qui passe, Etienne de Fleurieu laisse paradoxalement agir le temps dans cette œuvre.
Dans la troisième œuvre, de longues bandes de film représentent de façon chronologique (image par image) l’évolution des flammes d’un feu sur fond noir. La flamboyance du mélange de couleurs noires, rouges, orangées et des perforations blanches donne une œuvre beaucoup plus tourmentée, dramatisée, émouvante.
A travers les cinq toiles qu’elle expose, Anne Charozé tente elle aussi d’arrêter le temps, de subtiliser une impression, une vision du paysage à la fenêtre de ses différents voyages en TGV. Pour elle, le TGV est un symbole de la société moderne basée sur la vitesse. Elle dit s’être forgé une appréciation des couleurs et des textures, s’être nourrie de tous ces paysages. Chaque toile mesure environ 100 x 60 cm, le format presque exact d’une fenêtre du train.
Comme celle des impressionnistes, sa démarche consiste à saisir la fugacité des paysages changeant au gré des heures, des saisons, des atmosphères. Elle s’en éloigne cependant parce que ses toiles sont presque totalement abstraites. Dans 02.02.02, 18h07, TGV Lille–Paris les nuages gris-blancs forment une danse tourmentée, les longues couches noires, les orange et les marron « crépitent » comme dans un paysage volcanique.
Dans une exécution pleine de spontanéité, Anne Charozé exprime les sensations qu’elle a éprouvées à un instant précis, désigné par un titre qui pourrait être celui d’un cliché photographique. La simplification des formes, des plans, des lignes, traduit la vitesse. La composition toute à l’horizontale aplatit. Les teintes assez sombres rappellent que la soirée commence, que la lumière décline.
Dans 09.07.01, 14h40, TGV Valence-Lyon la vitesse abolit les formes du paysage dans une succession de couches horizontales, vertes, noires, orange et grises claires qui évoquent des plages d’herbe, des rails, des bandes de terre et de roche, sans doute des arbustes et une atmosphère de brume.
Les formes sont plus nettes et les lignes colorées plus fortes dans 10.08.01, 8h10, TGV Tours-Bordeaux. La vision est encore différente, plus claire, voire joyeuse. Il s’agit d’une vision matinale.
Dans 23.09.01, 12h15, TGV, Toulouse-Perpignan les nuages sont blancs, les gris très présents. C’est une vision plus abstraite, on devine un temps maussade, très chargé, une atmosphère lourde comme à la veille d’un orage.
Etienne de Fleurieu
— Ciel n°2, 33 min de ciel, sept 2000. Film super 8 et aluminium. 120 x 125 cm.
— Ciel n° 6, 3h 45 min de ciel, mai 2001. Film super 8 et aluminium. 250 x 375 cm.
— Burning, avril 2002. ilm super 8 et aluminium. 125 x 90 cm.
Anne Charozé
— Le 09/07/01, 14h 40. TGV Valence –Lyon, 2002. Peinture sur toile. 98 x 60 cm.
— Le 10.08.01, 8h 10, TGV Tours-Bordeaux, 2002, Peinture sur toile. 98 x 60 cm.
— Le 23.09.01, 12h 15, TGV Toulouse-Perpignan, 2002. Peinture sur toile. 98 x 60 cm
— Le 02.02.02 , 18h 07, TGV Lille-Paris, 2002. Peinture sur toile. 98 x 60 cm.