ART | EXPO

Fuddruckers

14 Mar - 26 Avr 2014
Vernissage le 14 Mar 2014

Comme dans le fastfood, le spam a tendance à compenser le manque de qualité par la quantité. Voilà qui positionne d'emblée l'exposition dans un rapport ambigu à une culture à la fois de masse mais traversée de références personnelles, méprisée mais populaire, orientée vers l'efficacité plus que vers l'esthétisme, tout en possédant une certaine beauté.

Nick Darmstaedter
Fuddruckers

Nick Darmstaedter (né en 1988 à Los Angeles) se penche, avec une nouvelle série de peintures et de sérigraphies, sur la forme ultra-contemporaine du spam. L’ensemble de l’exposition décline les notions de readymade et de réappropriation, récurrentes dans le travail de l’artiste, pour poser la question de la dimension esthétique des productions les plus banales de notre environnement contemporain. Le titre de l’exposition, «Fuddruckers», est emprunté à une chaîne de fastfood américaine qui a, comme le spam, tendance à compenser le manque de qualité par la quantité; une citation qui positionne d’emblée l’exposition dans un rapport ambigu à une culture à la fois de masse mais traversée de références personnelles, méprisée mais populaire, orientée vers l’efficacité plus que vers l’esthétisme, tout en possédant une certaine beauté.

Apparu au début des années 1980, le spam a bourgeonné avec le développement d’internet et a peu à peu envahi les boîtes mail à une échelle mondiale. Il est baptisé dès ses premières apparitions du nom d’un produit alimentaire, le Spam®, sorte de viande salée en conserve largement diffusée pendant la Seconde Guerre Mondiale car elle constituait une source de protéines pratique et économique pour les soldats. C’est grâce à un sketch de 1970 des Monty Python que le nom a été étendu au message indésirable. Or l’envahissement du monde entier par le spam est bien ce qui caractérise le plus ce phénomène: la facilité avec laquelle ce système d’arnaque a pu s’étendre à des quantités massives d’adresses mail explique aujourd’hui la persistance de ces messages dont, pourtant, l’efficacité peut sembler douteuse. De spam en spam se dessine un éventail de promesses fantastiques, proposant des solutions simples et immédiates à des désirs essentiels: sexualité, santé, voyage, argent. S’il ne nous soutire par systématiquement notre numéro de carte visa, le spam nous vole fatalement quelques secondes de notre attention sans que nous puissions échapper à son agaçante présence et coûte cher à une économie qui supporte mal le temps perdu.

Pour cette exposition, Nick Darmstaedter présente quatre peintures à l’huile reproduisant minutieusement l’aspect de captures d’écrans, de fenêtres pop-up et d’interfaces de messagerie, faisant jouer le contraste entre la lenteur de cette technique traditionnelle et la rapidité avec laquelle ces éléments circulent d’écran en écran. En les magnifiant par l’huile sur toile, Nick Darmstaedter soustrait le spam à son existence souterraine et à l’ignorance dans laquelle il est tenu; ce faisant, il donne à voir une cartographie de désirs inassouvis et dépersonnalisés, qui s’élèvent au rang de portraits d’une époque, comme on faisait, en un autre temps, les portraits de ses ancêtres.

En regard, le texte brut de la série des Scam Mail, sérigraphié directement sur toile, contraste par sa rapidité d’exécution. Sous ce nouvel aspect, ces messages semblent poser la question de leur propre raison d’être: qui, aujourd’hui, croit encore à leurs mensonges? Qui peut bien se laisser prendre à leurs pièges grossiers? Comment le spam a-t-il pu survivre à sa propre répétition, jusqu’à la saturation?

Paradoxalement, tout en révélant la nullité des spams dans leur contenu, l’artiste les transforme en images et les révèle dans leur beauté formelle. Chaque capture d’écran est choisie pour sa dimension esthétique avant d’être reproduite sur toile; en l’occurrence, l’artiste préfère des designs simples, rudimentaires, qui datent déjà d’une quinzaine d’années — une époque que l’artiste appelle «l’âge d’or du spam», où lui-même les rencontrait pour la première fois, et, peut-être, à cette unique occasion, se laissait piéger par leurs faux-semblants.

Parallèlement à cette série de «peintures-spams », Nick Darmstaedter présente des sculptures qui prolongent, non sans un certain humour, le thème du piège par l’assemblage d’objets disparates. Des roues de pick-up aux jantes chromées coincées dans des sabots aux couleurs vives reposent ainsi au sol comme des sculptures minimales, évoquant un élan contrarié, tout autant du point de vue de la mobilité que de la recherche de raffinement esthétique. Matérialisation d’un danger imminent, un improbable piège à gibier bricolé avec des objets du quotidien — marteau, canne à pêche en tension et fil de fer — ajoute à cette exposition la vision d’un environnement urbain comme écosystème, dans lequel le malheur de l’un fait le bonheur de l’autre.

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