Hernan Bas
Fruits and Flowers
Né en 1978, Hernan Bas développe depuis le tournant des années 2000 une iconographie fortement marquée par l’esthétique décadente et symboliste — artistique et littéraire — de la fin du 19ème siècle. Sa pratique s’inscrit dans le renouveau figuratif et romanesque de la peinture observé depuis le courant des années 1990. Du paysage à la scène de genre, en passant par le portrait et pour la première fois avec l’exposition «Fruits and Flowers» la nature morte, presque toutes les catégories de la peinture classique sont revisitées dans un monde fantasmé à la sensualité aussi instinctive qu’ambiguë.
Le plus souvent pour ne pas dire toujours, Hernan Bas détourne les titres et sujets de ses œuvres à force de jeux de mots et allusions homosexuelles. Dans certaines des peintures exposées ici comme par exemple Odd Fruit, un vendeur d’oranges assis derrière ses étals débordants, le terme «fruit» renvoie non sans humour à la fois aux personnages et aux véritables fruits représentés avec eux dans des scènes bucoliques, la plupart desquelles tournent autour de loisirs liés à la saison de récoltes.
Parmi ces derniers notamment, quelques jeux festivaliers typiquement américains et particulièrement rustiques ont intéressé l’artiste. En l’occurrence, The Unlikely Winner représente un jeune homme dévorant des tartes à un concours du plus gros mangeur, tandis que Bobbing décrit un groupe de six adolescents jouant à la pomme dans l’eau, ou encore l’étrange The Sunday Snail Race. Enfin, William Won’t tell (pink swear) revisite et dévoie le mythe de Guillaume Tell dans des sous-bois dignes de Paul Cézanne, de même que (Shh) William Won’t Tell en présentant le seul profil d’un éphèbe rougissant, l’index d’un autre lui clouant le bec, comme puni dans l’attente qu’une flèche vienne peut-être percer la pomme qui lui couronne la tête…
Dans les peintures figuratives d’Hernan Bas, le traitement minutieusement détaillé des protagonistes et surtout la luxuriance ou l’exubérance du paysage les enveloppant, qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer l’œuvre romantique d’Arnold Böcklin ou celle de Caspar David Friedrich, contrastent fortement avec l’esquisse beaucoup plus gestuelle et hâtive de certains pans de ses arrière-plans, comme par exemple dans The rare orchid collector (on expedition) ou encore Easter Mouning. Saisis dans des instants de pure flânerie, ses personnages apparaissent toujours comme suspendus dans le temps et dans les limbes, entre adolescence et âge adulte, nature et abstraction.
Chaque scène s’offre à nous comme un songe et le symbolisme l’emporte complètement sur le naturalisme. «“Fruits and Flowers” est le résultat d’une investigation sur la manière de faire des passe-temps américains ruraux le sujet de peintures ‘classiques’. Je voulais peindre ces loisirs peu intellectuels de la même manière que Pierre Bonnard les aurait approchés, les rendre selon mon propre vocabulaire plus “fruités”, comme s’ils étaient joués non pas par un Américain du Midwest mais un dandy contemporain», précise-t-il.
Rien ou presque ne semble se produire dans les visions dilettantes et expressionnistes d’Hernan Bas, dont la palette vibrante, presque fauviste, rappelle en effet celle de Pierre Bonnard, membre illustre du groupe nabi formé à la fin du 19ème siècle, qui parvint également en travaillant de mémoire à insuffler un caractère irréel, onirique, à ses peintures inspirées notamment par les estampes japonaises, s’agissait-il de ses portraits intimistes, de ses paysages animés ou encore de ses natures mortes.
Enfin, pour la première fois Hernan Bas présente à la Galerie Perrotin des natures mortes, Private Bouquets, une série de compositions florales. Disposés dans des vases raffinés, les bouquets sont dépeints en partie dissimulés derrière les lamelles de stores vénitiens, ce qui opère avec une discrétion légèrement voyeuriste le transfert métaphorique de la charge sensuelle sous-entendue dans les portraits de l’artiste. De ces précieux pétales, qui se dérobent au regard, aux «fruits» las et fleurs fanées décrits auparavant, Hernan Bas invoque ici le genre même de la vanité et le caractère transitoire de la vie entre beauté éphémère et fragilité androgyne.
Violaine Boutet de Monvel
Hernan Bas est né en 1978 à Miami, Floride. Il vit et travaille à Detroit, USA.
Vernissage
Jeudi 22 octobre 2015 à 16h