ART | CRITIQUE

From The Voice To The Hand

PPaul Brannac
@02 Oct 2008

Critique partielle, il faut bien. Le projet de Melik Ohanian se déroule dans quinze lieux de Paris et sa région et nous n’en avons vu qu’un échantillon présenté au Plateau. A voir donc si la parcelle donne le goût des traversées de Paris et des vagabondages extra-muros.

A l’entrée, quatre caissons lumineux de taille égale illuminent la photographie d’un pont suspendu sur lequel un ouvrier moustachu avance. Plans fixes uniquement modifiés par les quatre étapes d’avancement vers l’objectif dudit moustachu sur ladite suspension: loin, moins loin, un peu plus près, près.
Puis une enfilade de néons blancs suspendue à hauteur de poulet éclaire de petits tas irréguliers de lettres de plâtre, des virgules, un point d’interrogation.
Dans une pièce adjacente du gros verre éclaté, au terme de la ballade une horloge d’un mètre quatre-vingts de diamètre indique l’heure: il est 15h25, bientôt 26. Le temps là, face à nous, dont le circuit grand angle n’émeut guère plus que la ronde affolée d’un petit chronomètre.

L’œuvre de Melik Ohanian, From The Voice To The Hand, n’est pas d’un abord facile. On parcourt la longue installation un peu confus, un peu perplexe face à ce dispositif très blanc, froid, trop bas pour un adulte. On n’ose pas déplacer les lettres amoncelées, habitués que nous sommes à «ne pas toucher».
Alors, précautionneux, on déambule sans bruit dans cet espace nouveau, dans ce temps arrêté. On cherche quelque chose — il n’y a rien. Suspension étrange, atmosphère vierge. L’endroit est banal mais il n’est pas familier, contemporain mais d’une autre contemporanéité. C’est un vide qui ne se peut combler, une image inexistante, des lettres clones éparses qui ne se conjuguent pas; rien à voir, rien à écrire, le temps seul avance dans son cadre sans chiffre.

Monde négatif, dépourvu d’émotion, dépouillé de mémoire, ni promesse, ni prophétie, pas même cri muet; couleur absente; cendres mises à nu sous les halos phosphorescents. Le visiteur est comme plongé dans une vaste vision, une composition rigoureuse derrière laquelle l’artiste suspendu aux cimaises prend, sans doute, quelques clichés secrets.
Car c’est nous, vêtus, colorés, marchant, soupirant un peu, qui rompons l’image bien nette, nous les intrus nécessaires qui en contaminons l’ordre épuré. Un acte suffirait, hausser une lumière, emporter une lettre, pour que tout change, qu’un détail prenne vie, que cela s’anime et s’élève. On n’ose pas cependant, comme désemparé, avec cette sensation puissante de ne saisir que le détail des lois d’un monde ignoré — sur le seuil.

Informations
Photos : Vues de From The Voice To The Hand, un projet d’expositions co-existantes de Melik Ohanian, Frac Ile-de-France / Le Plateau, sept-nov 2008.

Melik Ohanian
— Trouble Time(s), 2007. Horloge, verre sablé. 180 cm de diamètre.
— 10 000 Letters, 2008. Lettres de plâtre produites en 10 000 exemplaires. Dimension lettre : 16 x 8 x 3 cm.
— Return From Memory, 2008. 4 caissons lumineux animés. Impressions sur Duratrans. Caissons lumineux : 120 x 180 cm.
— As An Object, AK47 version #00, 2008. Kalashnikov type AK47 en verre détruites dans le lieu d’exposition.

AUTRES EVENEMENTS ART