Entre le travail 3D de graphiste et la pensée du volume du sculpteur, la pratique de Pierre Vanni interroge les nouveaux usages de l’image de synthèse, et de l’image technique au sens large. Il met en lumière la disparition probable des travaux du graphiste, rarement présentés physiquement au grand public, et propose leur transformation possible en volumes, en objets incarnés (sculptures de papier, affiches, etc.), mais fragilisés aussi.
Par l’utilisation du matériau papier, le volume créé reste provisoire et imparfait — car composé de multiples pliures — mais l’idée de l’incarnation d’images de synthèse dans l’espace, dans le monde réel, peut aussi être pensée comme une action de fragilisation. C’est une vanité pour ainsi dire, puisque le défi lancé serait de donner corps à une image parfaite mathématiquement.
Crânes interroge cette notion de vanité par la référence directe à l’époque baroque de la peinture et à ces séries de natures mortes dont la composition allégorique suggère que l’existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d’importance.
Crânes est un amoncellement de crânes de volume papier, comme l’exagération un peu ironique et décalée d’une Vanité de peinture. Quand le chemin pictural est de tenter l’incarnation de la chair par la peinture, celui des images de synthèse en papier de Pierre Vanni serait de vouloir résoudre l’équation inverse et de s’engager dans une voie d’autant plus artificielle, «from ink to blood».
Du numérique au papier, puis de l’encre au sang (pour plagier l’œuvre éponyme de l’exposition, From 3D to Paper, From Ink to Blood), Pierre Vanni parle de la création même, de son point d’origine à sa prise de position dans l’espace. Quand elle devient tangible et prend vie en quelque sorte. Une idée que semblent illustrer ces Renards origami, en position d’écoute, à l’affût et prêts à bouger au moindre faux mouvement.
Par divers clins d’yeux à l’histoire de l’art ou de la littérature, Pierre Vanni raconte au public de la galerie The Lazydog son utilisation singulière de l’image de synthèse. La référence aux présupposés du conte est évidente dans sa série des Stèles. Chaque affiche porte une phrase (inscrite sur une image de stèle) dont l’énoncé invoque — en ellipse — la magie des tout premiers mots du conte, «il était une fois».
Les signes sont matérialisés sur papier comme les possibles référents d’autres signes; la réalité n’est pas donnée immédiate, elle se lit en diagonale. C’est le principe même de l’anamorphose (d’après Les Ambassadeurs de Hans Holbein), sujet principal d’une autre pièce du jeune graphiste: une manière de lire de côté.
Une forme de matérialité qui se dématérialise d’elle-même et fait sans cesse appel aux connaissances personnelles du regardeur et à une interdépendance artificiel/réel.
Afin d’investir le paysage visuel, Pierre Vanni passe par l’expérimentation. Il utilise différents supports qui se répondent, volume/plan, images de synthèse/images réelles, écran/galerie, commanditaires/public. Une démarche qu’illustre bien la vidéo présente dans l’exposition, en rassemblant divers projets personnels ou commandes de structures telles que le Centre Pompidou, Les Nuits Sonores de Lyon…
S’offre alors une possibilité, pour le virtuel, d’investir la sphère réelle. Si l’affiche est le support privilégié du graphiste, il n’est sans doute plus le seul.
Liste des œuvres (non exhaustive) :
— Pierre Vanni, Série Stèles (x3), 2010. Impressions numériques noir et blanc. 121 x 172 cm.
— Pierre Vanni, T du New-York Times, 2010. Pliage et collage papier. 140 x 100 cm.
— Pierre Vanni, Renards, 2010. Pliage et collage papier. 60 x 75 x 35 cm.
— Pierre Vanni, Crânes, 2010. Pliage et collage papier. 20 x 25 x 15 cm, 2010.
— Pierre Vanni, From paper to 3D, 2010. Drapeau/bâche tissu. Env. 2.5 x 1.6 cm.
— Pierre Vanni, Siestes électroniques, 2010. Contrecollé sur PVC 2mm, impression jet d’encre sur papier hahnemuhle rag. 40 x 60 cm.
— Pierre Vanni, Vidéo, Compilation de projets personnels et cours métrages réalisés pour des commanditaires (Centre Pompidou, Tiger Sushi, Nuits Sonores de Lyon, Siestes électroniques de Toulouse…).