Présentation
Projet de Stéphanie Moisdon et Eric Troncy
Frog n°6
Au sommaire de ce sixième numéro de Frog : la Documenta XII, Darren Almond, Mike Kelley, Il Tempo Del Postino, Trisha Donnelly, Gloria Friedmann, The Third Mind, The Freak Show, Joe Scanlan, Yan Pei-Ming, Haim Steinbach, Michael Krebber, Bruce Hainley, Don Brown, Saâdane Afif, Felix Gonzalez-Torres, Yayoi Kusama, M/M (Paris)…
Extraits de «Enlarge your penis», par Eric Troncy
«Plein les poches. Plein les fouilles. Plein la panse.
L’industrie de l’art déborde de fric, de pognon, de flouze, de pèze, de cash, de blé, d’oseille. A plus savoir qu’en faire, à plus savoir à qui vendre, ni même quoi.
On s’était accoutumé à la longue litanie des résultats de vente aux enchères, qui se poursuit d’ailleurs — 19,2 millions de dollars pour Lullaby Spring de Damien Hirst le 21 juin ; 23,6 millions de dollars pour le Hanging Heart de Jeff Koons ; 14 millions d’euros pour la Seatted Woman de Francis Bacon vendue à Paris chez Sotheby’s le 12 décembre estimée entre 7,5 et 10 millions d’euros…
Dans son irréalité spectaculaire, elle avait réussi à s’imposer comme un moment saillant mais marginal de la vie des arts : elle concernait peu d’élus, en des occasions précises. Mais les choses ont changé, et si les résultats des ventes évoquées sont toujours spectaculaires, ce n’est plus dans leur irréalité mais dans leur réalité : celle où les chef-d’œuvres rejoignent à grand pas les autres œuvres d’art (ou productions prétendant encore relever de cette appellation tandis que la plupart ne sont plus faites que pour alimenter, précisément, ce marché).
Autant être clair : tout se vend, cher, et sans effort. A telle enseigne que les artistes se posent des questions : est-ce bien raisonnable de répartir équitablement le prix des ventes avec son marchand ? […]
Certes, il y aurait quelque incohérence à reprocher à un commerce de faire des affaires. On pourrait même, finalement, s’en réjouir. Mais la brutalité corollaire de cette prospérité a de quoi laisser songeur. «A New York, dans les galeries, on sent bien qu’on gêne quand on vient voir une exposition», me confiait récemment Franck Gautherot. Pas le temps pour ça. Autre chose à faire. Pas sur la même planète. C’est gentil mais non, on travaille, là . Le mieux serait de ne pas rester «dans le passage», afin de ne pas entraver la circulation.
Dans le passage, la critique d’art y fait aussi office d’obstacle. Un temps, on se réjouissait de voir ses expositions (quand on tient une galerie), ou son travail (quand on est artiste) commenté. «Dites du bien, dites du mal, mais parlez de moi», disait Warhol. Mais ces temps-là aussi ont changé. Plus personne, ou presque, dans cette industrie, n’a de temps à perdre avec la critique d’art.»