Dans l’obscurité, une caravane dorée, nimbée de rouge, nous saute aux yeux, puis une automobile grand sport multicolore, deux vidéos projetées côte à côte sur le mur du fond, et une troisième plus loin. Si faire le noir est nécessaire pour les projections, cela donne un rayonnement particulier aux objets présentés: une caravane et une automobile semblables à des jouets qui auraient été agrandis à notre échelle.
Frédéric Vaësen vit et travaille dans ses structures mobiles. Elles sont à la fois œuvres, supports d’œuvres, lieux d’expérimentation et de rencontres. Parfois, il y projette également des diaporamas ou des vidéos. La caravane et l’automobile sont ce qu’il nomme des « Nouvelles Machines Habitables », des NMH. La caravane est recouverte de cuivre oxydé, son toit est doré à la feuille, et l’intérieur, entièrement vide, est tapissé de feutre de laine blanc — une lumière rouge colore l’ensemble. L’automobile, une Porsche 944, est repeinte conformément à une étude chromatique d’Itten qui prévoit que, lancée à grande vitesse, elle devienne entièrement blanche.
La Porsche peut tracter la caravane, même si leur aspect semble les opposer : le design arrondi de la caravane, typique des années 60, invite à la rencontre, comme le fait qu’elle est ouverte. Au contraire, les fenêtres de la Porsche sont recouvertes de peinture, ce qui la rend impénétrable aux regards et ce qui maintient le spectateur à l’extérieur, dans une position de contemplation d’une sculpture aux formes, aux lignes et aux couleurs impeccables.
L’œuvre de Frédéric Vaësen est stationnée au Centre d’Art de Brétigny, bien qu’elle trouve paradoxalement son véritable point d’ancrage à être nomade. Les voyages de l’artiste sont autant de propositions artistiques toujours renouvelées. L’été dernier, il était en Suède. Dans le sillage des expériences d’Absalon ou de l’Atelier de Van Lieshout (dont un habitacle est d’ailleurs présenté de façon permanente à Brétigny), l’entreprise associe mode de vie et travail plastique.
En outre, avec NMH, l’œuvre contient son propre espace d’exposition. Comme la fameuse Boîte en valise de Duchamp, la caravane est à la fois l’œuvre et le lieu de sa présentation. Irrévocable non-lieu donc. Frédéric Vaësen peut en effet exposer sa caravane n’importe où, il lui suffit de trouver un emplacement qui devient alors le cadre d’une exposition in situ. La situation de l’œuvre est aussi importante que le lieu dans lequel elle s’inscrit. Car ce sont les échanges et les rencontres que suscite l’œuvre qui ouvrent à une expérience esthétique. La matière feutrée du capitonnage vise à susciter des sensations chez les spectateurs : l’espace feutré NMH s’éprouve. On est également conduit à faire l’expérience de la pensée par le vide de NMH, dont le plafond est ouvert sur le ciel : NMH est un point de vue sur le ciel.
Le vide introduit en outre à la question du rien comme mode de vie artistique. L’une des vidéos intitulée Comment vivre de rien ou presque ? montre Frédéric Vaësen nu en train de remonter un cours d’eau, apparaître et disparaître dans le paysage, se figer pour prendre les poses d’un personnage des Baigneurs de Cézanne. Lieu d’expérience de la pensée, et lieu du vide, l’œuvre semble faire écho aux « zones de sensibilité picturale immatérielle » d’Yves Klein. En particulier par l’importance accordée à la peinture : le mélange optique de la voiture, le cuivre de la caravane qui se patine au gré des intempéries, et les paysages de Cézanne.
Personnage sorti du tableau, l’artiste est aussi celui qui fait entrer le spectateur dans le « tableau », qui l’invite à voir, à vivre, à tenter NMH. Circulations dans et hors du tableau, voyages réels et imaginaires, les œuvres de Frédéric Vaësen s’articulent autour du voyage et de l’échange, dans une sorte de nomad’s land donc.
Frédéric Vaësen
— NMH. Nouvelle Machine habitable, 2001. Caravane et Porsche 944.
— Tentez, 2001. Vidéoprojection.
— Peut-on vivre de rien ou presque ? , 2001. Vidéoprojection.
— Les Travellings suédois, 2001. Vidéoprojection
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