Avec la série Fred et la Chocolaterie, Frédéric Lebain entame dans son travail une réflexion sur l’objet, sur sa valeur sculpturale et mémorielle. Cuisinier de formation, il saupoudre de cacao des objets ayant séjourné au congélateur. Le froid garantissant l’adhérence, il photographie frontalement un élément figé, dont la nature est à la fois révélée et étouffée par le chocolat.
Le résultat est monochrome et le choix d’objets liés à l’enfance et à la nostalgie, souvent démodés ou dépassés comme une console Atari 2600, renforce l’aspect pétrifié qui se dégage des images.
Si dans sa nouvelle série, Les Bibliothèques, présentée à la galerie Philippe Chaume, les techniques, les médiums et les thèmes intervenant dans la réalisation des images changent, l’approche et le questionnement photographiques de Frédéric Lebain semblent proches de ceux de la Chocolaterie. On y retrouve la frontalité de la prise de vue, un certains goût pour la monochromie, visiblement l’effet ici d’une addition de lumière, et pour la dimension symptomatique et sculpturale de l’objet. Car, comme ceux photographiés dans la Chocolaterie évoquaient une génération, les livres contenus dans une bibliothèque nous éclairent sur leur propriétaire.
«Dis-moi ce que tu lis, je te dirais qui tu es». Les titres et leur organisation en disent long. Il y a ceux qui classent par auteurs, par genres, par collections. Ceux chez qui le désordre apparent cache une logique mystérieuse. Ceux qui possèdent des livres qu’ils ne liront jamais, mais qu’il est «nécessaire» d’avoir, qu’ils ne réouvriront plus ou qui témoignent d’une époque de leur vie. De sorte qu’une fois lus — ou pas — les livres bougent peu, les bibliothèques acquièrent un statut décoratif. Figé.
Ainsi aux bibliothèques prestigieuses et historiques de Candida Höfer, Frédéric Lebain oppose celles, plus conviviales, de particuliers ou de quartiers. Photographiées en tenant compte du contexte qui les environne, les bibliothèques dialoguent, sous forme de ce que Walker Evans appelait les «arrangements inconscients», avec les objets alentours, les aménagements domestiques et les œuvres vernaculaires sur la personnalité du maître des lieux.
Pourtant là où Walker Evans voyait la possibilité de saisir une situation déjà composée, Frédéric Lebain voit celle d’une intervention sur le sujet, de se réapproprier plastiquement une bibliothèque et de poser les questions qu’elle soulève. Il remplace ainsi les livres existants par des avatars en bois, effaçant toutes références culturelles. Cette disparition manifeste insuffle aux images une aura mystérieuse, une inquiétante étrangeté.
Mais de quelle disparition s’agit-il exactement? D’une perte identitaire, où l’on se verrait priver de ses livres qui, en partie, nous constituent et renvoient une certaine image culturelle et sociale de nous? D’une altération écologique, le bois des avatars renvoyant aux arbres abattus pour fabriquer des millions de pages? D’une dissolution d’une pratique, le passage de l’analogique au numérique? La distance photographique prise par l’artiste permet à chacun de s’interroger sur ces étranges planches de bois.
Les photographies de Frédéric Lebain portent d’étranges noms : Le meilleur et le plus simple de la pomme de terre, Supprimez vous-même vos douleurs par simple pression du doigt ou encore Les soucoupes volantes ont atterri. Il s’agit d’un titre extrait de la bibliothèque photographiée qui, peut-être, comme dans la nouvelle La bibliothèque de Babel de Borges, mais cette fois à l’échelle du banal, constituerait «la clef et le résumé parfait de tous les autres».
Frédéric Lebain
— 20000 lieues sous les mers, 2007. Photo argentique.
60 x 50 cm
— Le meilleur et le plus simple de la pomme de terre, 2007. Photo argentique. 80 x 100 cm
— Apprenez l’acrylique, 2007. Photo argentique.
60 x 50 cm
— Métaphores photographiques, 2007. Photo argentique. 170 x 230 cm