Le titre de son exposition «Nyctalope» à la galerie Philippe Chaume l’indique, Frédéric Delangle est un photographe du noir, du sombre, qui a la capacité de se repérer dans les zones plongées dans l’obscurité, et de les révéler. Cet aspect semble hanter son travail.
Déjà dans la série Ahmenabad, il photographiait la ville de nuit avec de longs temps de pause qui fixaient la lumière et laissaient deviner des formes fantomatiques. Dans Coït, présenté l’année dernière, des corps, seuls éléments éclairés, se découpaient sur un fond noir et muet.
Toujours équipé de sa chambre photographique, Frédéric Delangle s’intéresse cette fois au paysage, en réalisant des clichés de forêt ou de morceaux de campagne. Là encore il se nourrit de la nuit, mais d’une nuit épaisse, loin des lumières de la ville qui lui donnent son aspect attirant, ses mystères aussi.
Les territoires qu’il traverse ne possèdent pas les équipements urbains qui nous permettent de nous mouvoir aisément dans le noir, mais nécessitent une adaptation, une appréhension progressive de l’environnement. Devenir nyctalope pour arracher des visions. La nuit, sans artifices.
C’est dans ce contexte que Frédéric Delangle effectue des mises en lumière de lieux, extrait de l’obscurité un fragment de paysage et le suspend le temps d’une prise de vue à la lumière. Rendre visible, par fraction, l’indiscernable. Ses photographies, comme la vue, ne distinguent qu’une partie de ce flou nocturne, qu’un premier plan de la perception que la lumière découpe sur le fond noir. Le reste n’est qu’opacité.
Il existe toute une tradition, une histoire de la photographie nocturne, qui trouve sa composition dans un jeu de clair-obscur, dans une lumière diffuse qui rythme la pénombre. Cette pratique semble s’accorder avec la ville, nouer avec elle une relation directe. Pensons aux ambiances humides et romantiques des rues du nord et de l’est de Paris dans les clichés des photographes humanistes, ou à la ville survoltée, électrique, brillant de mille feux dans ceux de William Klein. Parallèlement, c’est une histoire des techniques qui se dessine : le flash au magnésium permet à Jacob Riis de rendre compte de la misère dans les rues new-yorkaise, le flash électrique de se passer de longs temps de pause et de le déclencher plusieurs fois de suite, les lourds dispositifs avec flash synchronisé de O. Winston Link et Georges Thom de faciliter la mise en lumière d’un sujet nocturne.
Plus rares sont les photographies réalisées de nuit dans la campagne, sans flash ni système compliqué. Frédéric Delangle, en effet, utilise un procédé à la fois sommaire et original : les phares de sa voiture. Ce n’est pas ici, comme dans U.S. Number 61 de Robert Frank, le phare qui est photographié, mais c’est lui qui permet, par l’orientation de son faisceau lumineux, d’extraire une zone de la pénombre.
Il passe ainsi de l’objet de la photographie à son moyen, à son émergence rendue possible. Cet effet produit une esthétique de la lampe torche, que supplante une grande maîtrise technique, et dialogue avec le cinéma, où l’utilisation des phares (ou d’un système lumineux les reproduisant) participe au vocabulaire consacré de certains genres comme le road movie.
Ainsi, dans son cheminement nocturne et à l’aide des phares de sa voiture, Frédéric Delangle choisit les endroits qu’il met en lumière, les définit pour leur qualité ou leur banalité, par l’étrangeté ou l’atmosphère qu’ils dégagent. En suggérant toujours la présence de l’homme sur ces territoires, il interroge les phobies liées à l’enfance, le rapport à l’obscurité. Et laisse la lumière allumée.
Frédéric Delangle
— Nyctalope, 2008. Série de Lambda Print. 100 x 120 cm