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Frédéric Bodet

Première étape du parcours parisien consacré à la céramique contemporaine, les Arts décoratifs mettent à l’honneur la scène hexagonale. Un coup de projecteur bien mérité, sous la forme d’une exposition doublée d’un parcours jubilatoire dans les collections du musée. Rencontre avec Frédéric Bodet, le commissaire de «Circuit céramique».

Christophe Salet. La précédente exposition sur la scène céramique française aux Arts décoratifs avait eu lieu en 1981 à la même occasion: la venue de l’Académie internationale de la céramique (AIC) à Paris…
Frédéric Bodet. Oui, l’AIC organise tous les deux ans son assemblée générale dans un pays étranger, et ils n’étaient pas venus en France depuis 1981. À cette date, les Arts décoratifs avaient organisé une exposition panoramique sur la céramique française qui remettait en perspective la question de la céramique d’atelier. Il s’agissait d’une frise historique qui présentait les différentes générations d’artistes importants depuis la fin du XIXe jusqu’aux années 80.

Pour cette nouvelle exposition, vous avez pris un parti complètement différent…

Frédéric Bodet. On a choisi de se concentrer sur la jeune génération pour montrer que la façon d’envisager le matériau a changé, qu’il n’est plus utilisé uniquement par des céramistes, mais qu’il est aussi attirant pour des artistes formés à la polyvalence. C’est un constat qui se fait régulièrement dans les galeries d’art, lesquelles ont aussi évolué dans le regard qu’elles portent sur la céramique: dans les années 80, leur réaction face à ces artistes était plutôt de les orienter vers des matériaux qui se vendaient plus facilement. Cette vision-là a changé. De plus en plus, les galeries sentent qu’il y a un intérêt des collectionneurs pour la céramique et ne cherchent pas à transformer l’intention d’un artiste ou à l’éloigner du matériau.

Lorsqu’on regarde la sélection des artistes, on se rend compte qu’il y a effectivement une grande variété de parcours: des architectes, des sculpteurs, des designers… Est-ce représentatif de la scène céramique actuelle ou est-ce vous qui avez décidé de mettre en valeur cet aspect-là?

Frédéric Bodet. C’est une décision de notre part, parce qu’il y a une vraie scène d’artistes spécialisés dans ce domaine qui n’ont malheureusement pas la visibilité qu’ils devraient avoir. Nous avons fait le choix de montrer les différentes façons d’arriver à ce matériau, en choisissant des artistes qui ont une formation et un parcours différents, mais qui, à un moment donné, se sont pris d’intérêt pour la céramique et ont développé une pratique régulière.

Comment vous est venu cette idée d’associer une partie thématique à un parcours dans les collections du musée?

Frédéric Bodet. Au départ, l’exposition occupait uniquement les trois espaces du cinquième étage, avec une sélection de jeunes créateurs exposant pour la première fois dans une institution. Ensuite, nous avons décidé d’ouvrir l’exposition à l’ensemble des collections permanentes du troisième et quatrième étage. Là, un autre projet s’est développé, avec des artistes plus reconnus, que ce soit dans le milieu céramique ou dans celui de l’art contemporain.

Quelle était votre intention en associant ces différentes générations de créateurs?

Frédéric Bodet. Je n’avais pas envie de faire une exposition qui cherche uniquement des points de départ, ça n’aurait pas été représentatif de la scène céramique. Parce qu’il faut dire qu’en France, les formations à la céramique sont vraiment en péril. Depuis les années 80, les ateliers techniques dans les écoles des beaux-arts ferment ou sont marginalisés. En particulier les ateliers traditionnels comme la céramique ou la gravure qui sont considérés comme vieillots. Pourtant, il y a une demande évidente des étudiants. Quand il est possible de travailler la céramique, souvent sous l’impulsion de professeurs qui l’a pratiquent eux mêmes comme Vincent Barré ou Anne Rochette, c’est vraiment une transmission de personne à personne. Mais la plupart des artistes développent leur pratique par leurs propres moyens: en allant voir des céramistes ou en faisant une formation technique de type artisanale où ils acquièrent le bagage dont ils n’ont pas bénéficié pendant leur formation académique. Donc, la maturité artistique arrive assez tardivement dans ce domaine. Je trouvais par conséquent nécessaire qu’il y ait dans le parcours des artistes qui sont des références, par leur enseignement et par leur influence sur les plus jeunes. C’était un moyen d’encadrer cette nouvelle génération.

Qui sont ces références?

Frédéric Bodet. Dans les plus reconnus, il y a Philippe Godderidge, qui collabore activement avec les plus jeunes, en proposant des workshops dans les écoles d’art. Il y a aussi Nicole Giroud qui ne fait plus beaucoup de céramique, mais a été très importante dans les années 70/80. Je vois souvent dans les écoles d’art des étudiants qui font des essais de trempage de tissu dans la barbotine. Cette technique, Nicole Giroud l’a exploitée au meilleur niveau dès les années 70 et ces jeunes ne la connaissent pas. Pour l’exposition, elle a fait des pièces nouvelles, qui associent la porcelaine aux matériaux qu’elle travaille aujourd’hui, comme le latex et le cordage. Il y a aussi Quinette Meister qui construit depuis une trentaine d’années une œuvre à la fois géométrique et très sensuelle. C’est un travail spatial, original parce qu’il est très inspiré par les cuissons au noir pratiquées par certains grands maîtres Japonais qu’elle a côtoyés. Son œuvre a été très peu montrée en France. Sur le parcours, dans le département XIXe, on peut découvrir l’une de ses installations, composée de masses de grès brut. Elle entoure le surtout de Napoléon III, qui a failli brûler dans l’incendie des Tuileries. Ces pièces noires un peu calcinées apparaissent comme les ruines de l’Empire, il y a quelque chose de dramatique dans le dialogue qui s’établit entre elles deux.

Justement, comment avez-vous conçu le dialogue entre les pièces?

Frédéric Bodet. Dans le parcours, les pièces dialoguent avec un décor et des objets anciens. Il y a une relation dans les formes, les références historiques, ou parfois des liens plus inconscients, émotionnels, qui sollicitent la sensibilité du visiteur. Ici, au cinquième étage, il y a trois thématiques: le corps et ses métamorphoses, le paysage imaginaire et l’objet revisité par le décor. Il fallait que les pièces rebondissent entre elles, qu’on ait l’impression qu’elles s’enchaînent les unes aux autres. C’est comme un salon, presque comme une foire d’art contemporain. Il y a une proximité qui n’est pas la même que dans le parcours.

Il m’a semblé en regardant la sélection qu’il y avait beaucoup d’artistes étrangers travaillant en France, et de créateurs français formés à l’étranger. Est-ce que cette ouverture constitue selon vous un facteur de renouveau dans la céramique contemporaine française?

Frédéric Bodet. Je le pense vraiment. L’année dernière, j’ai fait une exposition pour la Fondation Bernardaud («Made in France by Americans») qui réunissait pour la première fois des sculpteurs américains vivant en France depuis 20 ans ou plus. Et je disais qu’ils avaient transformé, chacun avec une œuvre très personnelle, la scène française dans son ensemble. C’est un point de vue qui a été contesté dans le milieu céramique. Je crois pourtant qu’au milieu des années 80, lorsque ces gens-là sont arrivés en France, il y a eu un changement de direction, des possibilités nouvelles qui se sont ouvertes. Ils ont cassé une image un peu trop artisanale de la céramique française, un peu trop axée sur l’Orient… Dans les années 70, il y a eu en France tout ce travail autour de l’émail qui a été beaucoup stimulé par Daniel de Montmollin par exemple. Ces Américains ont un peu cassé cette mythologie, en travaillant sur des choses beaucoup plus actuelles, fugaces, sur des émotions liées à leurs voyages, des images de mode, en rapport avec l’actualité… Il y a aussi dans l’exposition des créateurs formés à l’étranger, parce que justement il y a des problèmes évidents de formation en France. Il y a ailleurs des écoles qui peuvent constituer un bagage supplémentaire par rapport à une formation française: aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse également.

On découvre beaucoup de créateurs qui viennent d’une culture transdisciplinaire. Est-ce que cela constitue aussi selon vous un facteur de renouveau?

Frédéric Bodet. Je crois que c’est un facteur de renouveau essentiellement parce que la diffusion de ces œuvres sera plus ouverte. Elle sera faite par des galeries qui ont un pouvoir de conviction et de promotion supérieur. Mais il y aussi des faiblesses du fait qu’il n’y a pas de spécialisation. Je pense que la céramique est un matériau exigeant, qui ne s’improvise pas. Il y aura toujours des barrières difficiles à franchir, sur des notions de cuisson, d’émail… On imagine que le tournage est quelque chose de désuet, qui n’appartient qu’au domaine du potier. Le tournage offre des possibilités plastiques tout à fait étonnantes. Il y a une question de souffle qui se met en place en tournant, c’est une métaphore du corps. Les plasticiens formés à autre chose ne ressentent pas ça, ou en tout cas ne sont pas capables de le maîtriser. Parfois, il y a une belle intention conceptuelle, mais il y a aussi des déficiences techniques qui limitent un peu l’ampleur de la forme. Il y a de très bonnes idées qui réactivent effectivement l’imaginaire de la céramique, mais il y a aussi un laisser-aller formel un peu regrettable.

Dans le catalogue, vous parlez de «tics», comme celui d’utiliser systématiquement la terre pour reproduire froidement des formes existantes…
Frédéric Bodet. Oui, parce que c’est la seule chose qu’on enseigne dans les écoles d’art: le moulage. Plutôt que de construire la forme par soi-même, on l’estampe sur quelque chose d’existant. Ça peut donner des résultats intéressants, mais il y a moins de liberté. Je pense que la technique, c’est une liberté, pas une contrainte. Et ça, quand on n’a pas un rapport privilégié avec le matériau, on ne le sait pas. C’est le défaut de la formation polyvalente.

Vous avez sélectionné les artistes sur la base de la «ferveur» que l’on perçoit dans leur rapport à l’argile. Comment appréciez-vous cette ferveur?

Frédéric Bodet. Eh bien, en ressentant la joie qu’eux-mêmes ressentent en travaillant la terre! Pour la plupart de ces jeunes artistes, la terre et les possibilités de la terre sont une découverte récente. Et comme on les pousse rarement vers ce matériau, c’est une découverte très intime. La terre leur donne des idées, des thématiques. Je crois qu’ils l’apprécient pour la fluidité, le caractère très corporel. C’est le matériau privilégié pour parler d’une certaine joie de vivre, d’une jouissance physique et aussi de la mort, car c’est aussi notre destination finale. C’est un matériau qui est très viscéral et très lié au destin humain. Les jeunes artistes découvrent assez rapidement ces deux aspects-là dans les possibilités du matériau. Et ce sont des thèmes centraux de l’art depuis l’origine. C’est pour ça que la terre est toujours présente dans l’expression artistique. C’est un matériau essentiel.

Il y a dans l’exposition plusieurs artistes dont l’œuvre exposée n’est pas nécessairement en terre…
Frédéric Bodet. Oui, c’était pour montrer que l’imaginaire de la terre pouvait avoir des origines et des prolongements dans d’autres médias: la vidéo, le dessin… C’est intéressant de voir par exemple comment Antoine Tarot représente après coup ses sculptures, un peu comme des radioscopies. On a l’impression de voir les pièces coupées, de dessus, un peu comme des colonnes vertébrales. Il y a dans ces dessins quelque chose de très corporel que l’on retrouve dans les pièces.

Pourquoi avoir choisi de présenter les pièces à même le sol?
Frédéric Bodet. Parce que les œuvres nécessitent une certaine immédiateté, un rapport direct au corps. Elles pourraient pratiquement être touchées. Les parallélépipèdes de Laurent Dufour ne sont pas sacralisés comme des sculptures mais empilés comme s’ils étaient en carton. Ce sont des pièces très simples, solides, sur lesquelles l’artiste dessine de façon envahissante. Il utilise les faces de céramique émaillées comme des feuilles de papier qu’il recouvre de croquis plein d’humour, mélangeant des références à la bande dessinée… Cette liberté était difficile à concilier avec des cordons de sécurité, des socles ou des cloches.

Philippe Godderidge
— Installation Hic sunt dracones, 2010. Grès émaillé.
Quinette Meister
Colonnes, 2008. Grès enfumé.
Nicole Giroud
Giration, balancement, déséquilibre, 2010. Tenture en latex, fragments de porcelaine et résidus de cendre.

Laurent Dufour
Parallélépipèdes, 2010. Grès émaillé. 


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