Interview
Par G.D.
G.D. Vous venez de présenter au Point Culture du ministère de la Culture et de la Communication une installation, Images-Mémoire que vous avez réalisée avec le partenariat de l’Ina. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit ?
Fred Forest. Mon propos consistait, sous forme d’une œuvre « on line », mais également une installation in situ, d’aborder une réflexion, poétique, artistique et collaborative, sur l’existence du web comme mémoire et moyen de communication, pour les hommes du XXIe. Il s’agit donc d’une sorte de promenade itinérante sous la conduite de quatre guides/avatars dans les labyrinthes de cette mémoire en mouvement que constitue le Web. Ces guides sont au nombre de quatre, et, dès votre entrée sur la page d’accueil, vous pouvez choisir celui ou celle qui vous semble à la fois le plus sympa ou le plus compétent pour mener cette dérive ! Plusieurs textes et repères visuels balisent votre parcours, tandis que les guides, de la voix, et en vous tenant pour ainsi dire par la main, vous conduisent au lieu central de cette mémoire.
Vous dites lieu central ? Alors que ce qui caractérise les réseaux c’est précisément une indétermination de lieu et de centre ? Que se passe-t-il, alors, quand vous en êtes arrivé là ?
Quand je dis, lieu central, il faut prendre cela, bien sûr, comme une sorte de référence métaphorique à notre ancienne culture. Donc, dans cet endroit indéterminé et pourtant déterminant du web, l’internaute va être en mesure de créer des œuvres en collaboration avec l’artiste. Il inscrit un mot de son choix dans un champ prévu à cet effet et, aussitôt, 56 images se forment, comme une œuvre mosaï;que sur son écran. L’internaute (qui dans ce cas n’est pas l’internaute de l’interactivité presse-bouton habituelle) peu de surcroît redéfinir ce mot par un texte répondant à son humeur ou sa fantaisie du moment…
Il appose alors un tampon électronique sur le tout en cliquant sur le bouton ad hoc, et il peut tirer cette œuvre sur son imprimante. S’il désire que cette œuvre originale (il n’y en a jamais deux qui sont les mêmes…) lui soit offerte, il l’adresse à l’Ina, et la planche lui sera retournée par courrier postal, signée physiquement par l’artiste. Des œuvres gratuites dans l’art contemporain ? Cela ne s’était jamais vu auparavant ! Ce qui montre bien que les usages de l’Internet peuvent changer pas mal de choses à la création s’est à dire à nos comportements artistiques, culturels et économiques.
Vous êtes souvent cité comme le pionnier en France de l’art vidéo, maintenant celui du Net Art, avec l’œuvre virtuelle Parcelle-Réseau, qui a été vendue à Drouot en octobre 1996, votre mariage avec l’artiste Sophie Lavaud sur internet, utilisant un programme de (RV) Réalité Virtuelle, votre « Centre du Monde » à l’Espace Pierre Cardin, etc. L’ensemble de votre œuvre vient de rentrer au patrimoine national par le biais du dépôt légal de l’Ina. En qualité de théoricien et d’universitaire, vous êtes co-fondateur de deux mouvements artistiques importants : celui de l’art sociologique et celui de l’esthétique de la communication. Comment peut-on s’expliquer que vous êtes finalement plus connu à l’étranger qu’en France ? et que, par exemple, le MNAM/Centre Georges Pompidou, ne dispose pas d’une seule œuvre de vous ?
Nul n’est prophète en son propre pays. Il faut laisser le temps, si c’est nécessaire, aux conservateurs de musées, de se recycler et comme l’exige l’époque d’être en matière d’art contemporain un peu moins « suiviste » et un peu plus initiateur que conservateur. En effet, ma première grande rétrospective aura lieu à Sao Paulo en avril 2006 et non pas en France. J’adore d’ailleurs ce pays, qui me le rend bien. En 1973 j’avais déjà eu le Grand Prix de la communication à la XIIe Biennale de Sao Paulo.
Images-Mémoire ?
Nullement, il s’agit d’une œuvre de caractère évolutif et tout le monde va le constater par les nouvelles fonctions que je vais donner à cet outil dans les semaines à venir. Dans un premier temps, je viens de prouver que la gratuité est possible dans l’art contemporain, en changeant les modes de production et de diffusion. En mettant en cause, aussi, la sacro-sainte notion de profit et de spéculation, comme critère dominant. Tout en offrant, pourtant, il faut insister sur ce point, des œuvres qui sont des œuvres originales, et encore signée physiquement de la main, comme au bon vieux temps… Dans une seconde phase, contrairement aux amuses gueules officielles et mondaines de l’esthétique relationnelle, je vais mettre en évidence, qu’elle peut être, avec l’Internet, la vraie dimension de la reliance sociale et citoyenne de l’art. La vraie notion de relation sociale, que l’art sociologique et l’esthétique de la communication ont mis en œuvre, déjà depuis si longtemps, que l’on a tendance à l’ignorer. Je fais confiance aux jeunes générations d’artistes, qui au-delà des modes et des pouvoirs de circonstances sont en train de retrouver et de pratiquer les vraies fonctions questionnantes et critiques de l’art.
Images-Memoire, l’installation multimédia de Fred Forest est présentée au :
Point Culture du ministère de la Culture et de la Communication
182, rue Saint-Honoré
75001 Paris
du 24 mars au 15 avril 2005
Le mardi 19 avril 2005 à 16h30 Fred Forest participe à une conférence donnée à l’Ensba sur le thème « L’oeuvre-système invisible ».
Lien(s)
www.fredforest.org/Ina