Pour les trente ans de la galerie Downtown, Ron Arad est invité à en occuper l’espace dans un geste dont la mesure et la maîtrise traduisent l’intimité de François Laffanour et de l’artiste, architecte et designer israélien. En effet, le galeriste présente son travail depuis longtemps. A l’occasion de cet anniversaire, Ron Arad a produit une œuvre originale qui inscrit ce lieu dans l’histoire du design.
Depuis la rue de Seine, à travers les vitrines de la galerie nous découvrons un paysage de miroirs. Cent tables basses en acier qui se développent depuis le sol jusque sur les murs. La distance des parois aux tables génère une zone d’ombre sur laquelle se détachent les miroirs. Le flou, puis le tranchant du métal, successivement, nous décrochent de la réalité et exacerbent nos perceptions. Les plateaux dessinent en creux une grille proliférant dans l’espace. Par endroit, leur rapprochement ne permet plus le passage. Ron Arad contraint ainsi nos mouvements sur des chemins courbes, à travers ce territoire.
«Downtown @ Downtown is more like an urban plan» dont le support structurel est la table, un objet fonctionnel. A l’image du Monument continu de Superstudio (1969) par lequel le groupe a mis en question l’architecture et le design moderne, Downtown @ Downtown déplace la fonction de l’objet afin que celui-ci devienne le support d’évènements, d’histoires. La forme se dilue car elle est pensée à travers le prisme de l’environnement.
François Laffanour fait côtoyer cet enfant des contre-utopies avec Oscar Niemeyer, héros de la cité moderne. Les meubles de l’architecte de Brasilia, du siège du Parti Communiste à Paris font un contrepoint formidable avec l’installation de Ron Arad. Avec le recoupement de ces deux œuvres, la galerie Downtown trace encore plus profondément son action en faveur de l’histoire du design et affirme une vision prospective de la création contemporaine.
Downtown @Downtown est conçue comme un tout mais sa singularité tient dans une addition de fragments dont la dispersion est induite par le cadre de la galerie. A la fin de l’exposition «the tables will go to reflect elsewhere» (Ron Arad), chaque table, numérotée, quittera la galerie pour un intérieur familier où elle sera à nouveau le support d’évènements, d’histoires. Pourtant elle conserve dans sa forme l’empreinte d’un lieu et d’un geste.
Peut-être qu’un jour les enfants de François Laffanour rassembleront les tables. Leur montage redonnera forme à ce lieu qui nous a ravis, rue de Seine à Paris, où Ron Arad a déterritorialisé pour ses trente ans la galerie Downtown.