Grand voyageur à travers les siècles et lieux, le chorégraphe François Chaignaud (Cie Vlovajobpru) ne cesse de dépoussiérer les visions planes du passé. Son Romances Inciertos, un autre Orlando (2017) avait déjà pris les traits d’un récital dansé, incarnant les figures androgynes des cultures populaires espagnoles, du médiéval au contemporain. Avec Soufflette (2018), François Chaignaud livre une pièce pour quatorze interprètes. Quatorze danseurs de la compagnie Carte Blanche – compagnie nationale norvégienne de danse contemporaine, basée à Bergen. Danseur, historien, chorégraphe… Dans la continuité du médiéviste Jacques Le Goff, François Chaignaud rend ainsi ses couleurs au Moyen Âge. Mais par la danse, le chant, la plongée dans les harmoniques de cette longue époque méconnue. Et refusant le cliché opposant le Moyen Âge aux Lumières, l’obscurantisme à la rationalité, les superstitions à la pensée scientifique, Soufflette se délecte au gré d’un voyage courtisant les traditions médiévales.
Soufflette : une création de François Chaignaud et Carte Blanche
Avec délicatesse, sur scène les danseurs célèbrent des rites oubliés, au son de polyphonies raffinées. Soit une création sonore modelée par Jostein Gundersen (Grieg Academy), compositeur contemporain également spécialiste de musiques médiévales. Déploiement de fleurs et végétaux aux formes insolemment luxuriantes et proliférantes, Soufflette délivre une fête d’été, aussi joyeuse qu’enivrante. Bacchanales légères… Rite médiéval mêlant romantisme chrétien et célébration de la nature… Fête où pourrait paraître la Julie de Jean-Jacques Rousseau, dans sa Nouvelle Héloïse… Célébration contemporaine d’une nature toujours plus fragilisée… Avec Soufflette, le temps se parcourt et danse à grande enjambées, sensibles et sensuelles. Pièce tissant des ponts entre le Moyen Âge central (XIe, XIIe et XIIIe siècle) et aujourd’hui (XXe et XXIe siècles), Soufflette prend appui sur la musique pour penser le groupe. En sculptant le moment où l’unisson se fait polyphonie, où le bloc univoque cède la place aux dentelles sonores.
Entre polyphonies médiévales et danse contemporaine : un rite pour célébrer l’été
Souffle passant d’une bouche à l’autre, François Chaignaud et Carte Blanche emportent ainsi les publics de siècle en siècle. Sensuel et sensoriel, ce que François Chaignaud transmet de l’histoire passe par le frisson. « Je rêve d’entendre résonner les intervalles magiques, les quintes obstinées — non pas comme des étrangetés primitives, mais comme les souffles distincts de mes sœurs du onzième siècle — qui rêvent de mêler leurs voix, de construire des petits châteaux, et des cathédrales polyphoniques. » Pièce luxuriante, mais aussi énigmatique, avec ses danseurs parés de fleurs, de longues et lourdes traines de laines, Soufflette cultive une part de mystère. Quelque chose qui flotte entre langage oublié et familiarité. « Je veux laisser ma sœur du onzième siècle me faire une soufflette, nous enivrer et nous bouleverser par ses expirations ». Une invitation à délaisser l’individualisme contemporain pour mieux embrasser l’euphorie médiévale, le temps d’une Soufflette.
À découvrir en première française lors des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis 2019.