Sur un fond noir se détachent des objets d’un blanc lumineux -— chemises, clous, ciseaux. Le titre de la série «Bombardements», série commencée vers 1965 et poursuivie jusqu’au tout début des années 1970, tire son nom de la technique utilisée : de la peinture vaporisée à la bombe sur la toile où sont posés puis enlevés (comme des pochoirs) des objets variés.
Arnal n’est pas le premier à avoir employé une telle technique. On la rencontre avec les peintures «aérographes» de Man Ray, notamment son Droller [ou Draller]. First Object Aerated, de 1918 (Centre Pompidou, Mnam), et son fameux «aérographe» sans titre de 1919 (Staatsgalerie, Stuttgart). Les silhouettes, empreintes picturales aux subtils dégradés passant du blanc cru au noir, préfigurent ce que seront deux ans plus tard les rayogrammes, empreintes photographiques.
Les motifs choisis comme l’apparence formelle des Bombardements les rapprochent très évidemment des travaux de Man Ray. Comme chez Man Ray encore, la main de l’artiste se fait la plus discrète possible, au profit de la présence nue de l’objet. Mais c’est justement là que les deux artistes diffèrent. Si Man Ray privilégie l’apparition énigmatique de la chose et son évanescence suggestive, chez Arnal au contraire l’objet éclate vivement. Les Bombardements, ce sont aussi ces chemises déformées et ces clous éparpillés comme après un choc violent.
François Arnal s’est d’abord formé à la peinture en autodidacte dans les années 1950, à Paris, dans le milieu de l’abstraction dite «informelle» ou «lyrique». Ses toiles à la pâte épaisse et aux motifs d’allure primitive étaient présentées notamment par Michel Tapié. Puis son travail évolue. La forte charge subjective qui caractérisait ces premiers travaux s’efface dans les «Toiles libres et taches en expansion» de 1962, qui résultent de la chute non préméditée par l’artiste d’eau chargée de rouille sur une toile posée au sol.
C’est aussi le moment où Arnal se rapproche des Nouveaux Réalistes et de Pierre Restany qui demandent à l’objet d’assumer seul l’expressivité jusque là exigée de la peinture.
Dans les Bombardements, c’est la peinture qui s’objective. Pulvérisée de loin sur la toile et non marquée par la main de l’artiste, la peinture est le produit d’une action et non le matériau d’une élaboration.
Et si l’on y voit des fragments de la réalité, ce n’est pas grâce aux artifices d’une représentation mais par l’arrachement des objets qui étaient posés sur la toile. La toile elle-même change alors de statut. De vide initial d’où sourd une création, comme dans la peinture informelle, elle devient le support concret où une action à lieu.
Le motif de la persienne abaissée, que présentent certains Bombardements, nous apprend que «la fenêtre ouverte sur le monde» d’Alberti est close. De même que celui du châssis, un peu en avance sur Support(s)/Surface(s), reconduit la peinture à sa «réalité rugueuse».