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Franck Scurti. Works of chance

Déconcertante par sa diversité et son apparente absence d’unité stylistique, l’œuvre de Franck Scurti se présente comme une entreprise, sans cesse renouvelée et jamais dépourvue d’humour et d’auscultation de l’époque contemporaine. Ce catalogue offre ainsi une vue d’ensemble du travail actuel de l’artiste, à travers une cinquantaine d’œuvres, pour la plupart inédites.

Information

Présentation
Estelle Pietrzyk, Jean de Loisy, Frédéric Bonnet
Franck Scurti. Works of chance

Extrait (p.13-14)

Sauf mention particulière, les citations de l’artiste ont été recueillies lors de l’entretien réalisé chez lui, le 21 janvier 2011.

«Matérialiste conceptuel» ainsi Franck Scurti se présente-t-il, non sans malice, lorsqu’on l’interroge sur le champ qu’il a choisi d’investir au sein de la création contemporaine, se plaçant ainsi dans une catégorie artistique sui generis qui brouille joyeusement les typologies admises jusqu’alors. Scurti se plaît ainsi à partir des idées (mythe, concept, histoire de l’art,…) auxquelles il offre la possibilité d’une nouvelle dynamique en faisant intervenir des éléments issus du quotidien, allant du micro au macro, du poétique au politique, de l’objet manufacturé au déchet rencontré par hasard.

«Je ne travaille pas sur quelque chose mais avec des choses. Un fait divers, un produit de consommation ou même une œuvre d’art ont tous le même statut dans mon travail. Ce que je fais, c’est tenter de rentrer dans ces choses ou ces évènements afin qu’on les envisage différemment. Rentrer dans les choses, c’est très Ponge en fait.» admet Scurti.

Marqué par la lecture du Parti-Pris des choses, Scurti développe en effet une démarche qui n’est pas sans évoquer celle de Francis Ponge. Le poète avait ainsi entrepris d’ausculter avec une précision quasi scientifique un certain nombre de « choses » (un galet, une crevette, un morceau de viande,…), en vue de les définir le plus exactement possible ; ce faisant, on le voit épuiser toutes les possibilités du langage, mettant à jour incongruités phonétiques («À mi-chemin de la cage au cachot, la langue française a cageot»), images poétiques (« Tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide ») et analogies linguistiques (« Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins un objet de respect que de consommation »).

Le plasticien, lui aussi, questionne « les choses » avec acuité, mais cette fois à l’aide des moyens propres aux arts visuels : l’objet pourra ainsi être démantelé pour embrasser un nouveau destin (Diamond Chair), orné d’une signature qui le fera passer d’objet à objet d’art (les Franck Box ») ou imité de façon si précise que l’œuvre, devenue leurre, semble à même d’offrir les mêmes fonctionnalités que l’objet qu’elle contrefait (I’m done).

Ainsi, moins « transfiguration du banal » (pour évoquer Arthur Danto) que « (ré)invention du quotidien » (en référence à l’ouvrage de Michel de Certeau), l’œuvre de Franck Scurti puise dans un répertoire personnel au sein duquel l’artiste identifie quelques objets « déjà socialisés». Ces éléments non extraordinaires en eux-mêmes sont passés au crible d’une relecture qui invite au changement de point de vue, qui peut se traduire par un changement d’échelle significatif (comme dans la trilogie Chairs, N.Y. 06.00 AM, Mobilis in Mobili) ou une sorte de « révolution copernicienne » visuelle.

Ainsi, le simple fait de redresser une table de travail pour en faire une pièce murale (la Working Table, repeinte en blanc mais dont toutes les imperfections – taches, entailles, auréoles – ont été minutieusement conservées, détourées voire « restaurées » par l’artiste), lui confère une dimension plastique nouvelle, la sortant de l’ordinaire pour la faire entrer dans le pictural.

Cette «transformation de l’espace de la convention» (pour reprendre les mots de Rosalind Krauss à propos de Robert Rauschenberg et des Combines) procède d’une intervention sur des objets qui peuvent être personnels mais ne disent rien de leur propriétaire : les chaussures (Street Credibility), le planning (Planning), la table (Working Table) de Scurti ne renseignent pas plus sur lui que ne le faisaient les pinceaux de Jasper Johns ni la robe de chambre de Jim Dine.

Scurti s’empare donc de l’objet comme un voleur, lui dérobant toutes ses spécificités pour les mettre au service d’une cause esthétique dans laquelle « la mémoire et l’actualité sont des notions actives.»

 

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