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Franck Scurti : Before and After

Franck Scurti détourne images et discours produits par la société de consommation et les médias. Effritement des cloisons (création/copie, ready-made/objet de consommation) et re-signification sont au cœur de sa démarche. Utiliser le trivial pour le rendre fondamental : une façon d’échapper à l’aliénation mercantile.

— Éditeurs : Centre national de la photographie, Paris / Palais de Tokyo, Paris / Kunsthaus Baselland, Bâle
— Année : 2002
— Format : 25 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 191
— Langues : français, anglais, allemand
— ISBN : 2-84711-011-9
— Prix : 28 €

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Centre national de la photographie
Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Palais de Tokyo
Lire l’entretien de Claire Jacquet avec l’artiste

Notes sur l’artiste en tant que flâneur
par Régis Durand (extrait, pp. 68-69)

Il y a quelque chose du flâneur benjaminien chez Franck Scurti, dans le caractère urbain de sa démarche, son intérêt pour les traces, les micro-événements de la perception, le goût des matières (« Plonger le regard dans la matière »). Il y a aussi peut-être quelque chose du premier Rauschenberg chez lui (même si ses propres références sont ailleurs, chez Broodthaers ou Pistoletto par exemple) : dans l’attention à la fois précise et flottante qu’il porte aux signes de la « vie moderne », à ce qui y survient et aux traces et empreintes qu’on y rencontre.

Les différences, bien sûr, sont multiples. Il n’y a pas, chez Franck Scurti, de compulsion à rassembler, à collecter des objets pour ensuite les transférer dans le champ de l’art, directement ou après diverses opérations. Si transfert il y a chez lui, il s’agit d’un changement d’échelle tel que l’objet perd son identité originelle, et devient cette chose aberrante et drôle, qui déjoue la logique industrielle. Rauschenberg, au contraire, a le plus grand respect pour l’objet tel quel, avec son histoire propre. Mi-archéologue, mi-« indien », il quadrille le territoire urbain, relevant les signes qu’il va ensuite inclure et recycler, en les transférant de diverses manières (décalque, sérigraphie, impression directe, etc.). Street Credibility n’est pas un brevet de compétence urbaine, c’est plutôt la critique ironique d’une forme de pathos lyrique de l’urbain, tel qu’on le voit fleurir chez des architectes et des artistes. Les traces que saisit Scurti peuvent, soit passer directement dans l’art, sans intervention aucune (Paris-Match); soit être de fragiles configurations, dues au hasard ou à l’imprévisible d’une perception du moment, et donc ne pas avoir de consistance en tant que telles (au mieux, elles peuvent être photographiées). Un rayon de lumière frappant un verre de bière fait naître une nouvelle matière, dans laquelle le regard s’absorbe (Heineken Vision). Un plan du métro de Tokyo, réduit à un entrelacs de lignes, devient comme une matérialisation obscure des déplacements, un peu comme les sand paintings des aborigènes australiens. Ready Dead, dans lequel la façade d’une maison laisse soudain apparaître le dessin d’une tête de mort, rappelle que le ready made ne se limite pas à l’importation d’un objet commun dans le champ de l’art, mais est aussi la déclaration d’une perception nouvelle des choses. En « faisant glisser le regard sur les choses », comme le pratique Franck Scurti, des configurations inattendues apparaissent, tel ce « sandwich » de signes sur la porte d’un boulanger, merveilleux feuilletage qui n’est pas seulement une trouvaille, mais le produit d’une perception analytique. De même, le jeu sur la vitesse (Chicago Flipper) et la lenteur (les deux écrans de jeux vidéos de In/Out). Renversements, ruptures : on passe d’un état de flânerie quasi-somnambulique, à un arrêt et un « réveil » devant une perception singulière (l’acuité de cette perception montre bien qu’en réalité l’attention est toujours en éveil, et la vitesse en puissance sous l’apparente lenteur). Renversements aussi de l’intérieur vers l’extérieur, et inversement: choses vues à travers une transparence imparfaite, qui déforme légèrement, signes déplacés (comme certaines lettres du logo du Centre national de la photographie, détachées du mur d’enceinte et transportées dans les salles d’exposition), et l’on se demande alors ce qu’ils gardent de leur signification d’origine, de quelle mémoire perceptive ils sont porteurs. Cela ne ressemble pas à une méthode systématique, et cela donne naissance à des objets forts différents, des sculptures, des objets inclassables, des images aussi. Tout au plus peut-on y suivre la constante d’une pensée, ce que Franck Scurti appelle le « phrasé » de son œuvre, le mouvement qui l’entraîne et le style qui s’y reconnaît, quel que soit le matériau utilisé.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Centre national de la photographie)

L’artiste
Franck Scurti est né en 1965 à Lyon. Il vit et travaille à Paris.

Les auteurs
Régis Durand est directeur du Centre national de la photographie à Paris.
Nicolas Bourriaud est co-directeur, avec Jérôme Sans, du Palais de Tokyo, site de création contemporaine, à Paris.
Sabine Schaschl-Cooper est commissaire de l’exposition « Before and after » à la Kunsthaus Basellland, à Bâle.

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