Franck Eon
Franck Eon
Au premier regard, l’oeuvre de Franck Eon semble hétéroclite: tableaux, peintures murales, films, collages, imprimés. A l’instar d’un Jed Martin, héros du dernier roman de Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, qui connaît le succès par des photographies d’objets, puis de cartes géographiques (entre Pierre Savatier et David Renaud) puis s’adonne à la peinture hyperréaliste d’humains au travail, la pratique artistique de Franck Eon est à multiples facettes, mais toujours liée à la production d’images.
Si cette attitude pluridisciplinaire est devenue une sorte de «tarte à la crème» aujourd’hui, c’est sans doute parce que de nombreux artistes cultivent des «coqs à l’âne» et de grands écarts par esprit de provocation, parfois, pour éviter l’autorité d’un style reconnaissable, souvent. On repensera, à titre d’exemple, à l’énorme influence de Picabia sur les artistes modernes et actuels en lisant les nombreux textes du catalogue de la rétrospective au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 2003.
Lorsqu’en 2007, à l’occasion de l’exposition «Photopeintries épisode 1», nous l’avions interrogé sur sa dette envers Picabia (et Richter), la réponse d’Eon fut éloquente, moins du côté de la peinture (du comment) que de celui des images: «une manière de penser des images». Il précisait «envisager la peinture comme un acte, une décision, celle de donner matière à des images en considérant le plus largement possible toutes celles avec lesquelles on vit (les images produites par Picabia et Richter en font partie) aussi différentes soient-elles par leur nature, par leurs statuts, par leurs styles. Peindre après Picabia et Richter c’est penser ces images autant dans une certaine idée de l’éclectisme que dans leur enchaînement, leur suite (une sérialité, un process)».
C’est précisément l’objectif de cette exposition: mettre en évidence la sinuosité et l’éclectisme de cette oeuvre à travers ses séries et ses variations. Comme un enchaînement musical, une suite (dans un palace), une déambulation rythmée par des vitesses saccadées, des arrêts sur image (wall paintings), des cadrages doux (tableaux), des «superimages» (collages répétitifs à la Peter Roehr ou Thomas Bayrle, papiers peints, photomontages numériques), des enchaînements visuels et sonores (clips musicaux en boucle où des personnages issus de tableaux reprennent vie momentanément et artificiellement), toutes conditions qui permettraient moins de définir une nature de l’art que des apparitions propices à différentes interprétations symboliques.
On pourra y évaluer, par exemple, la variété des sources iconographiques, depuis la «haute culture» et ses renvois à la peinture classique et moderne (Henri Rousseau, Auguste Herbin…) et à l’art actuel (Art & Language, Chris Burden, John Currin,…) jusqu’à la culture de masse, la publicité, la télévision (les fameux «Derrick») et les applications que l’artiste développe qui inscrivent le tableau dans un flux de possibilités parmi d’autres, technologiques, spatiales, contrastées ou simplement fonctionnelles, pour déplacer la propriété des objets vers les qualités de l’expérience.
On y décèlera aussi un positionnement tout à fait singulier et précis dans le paysage artistique d’aujourd’hui. Ainsi, après Francis Picabia et Gerhardt Richter (ou encore Gérard Gasiorowski et Jean-Michel Sanejouand), entre ses contemporains John Currin et Nina Childress, l’oeuvre de Franck Eon apparaît comme une manière ouverte de penser les images, et donc la peinture et tous ses dérivés, et de les montrer sans autre forme de hiérarchie que celle de la subjectivité.
Son intention est limpide: «s’autoriser à peindre après qui on veut et décider soi-même du sujet de l’histoire».