L’exposition « Air glacière » à la galerie Duchamp, centre d’art contemporain d’Yvetot, dévoile un ensemble d’œuvres de Franck Dubois et Benoit Pierre qui portent une réflexion sur notre rapport au temps et sur la façon dont celui-ci s’est transformé au cours de l’ère moderne.
Avec « Air glacière », Franck Dubois et Benoit Pierre explorent le bouleversement climatique
L’exposition prend pour point de départ le constat que les excès de l’âge moderne nous ont paradoxalement ramenés à un passé lointain, à une époque où l’humanité venait d’apparaître : celle de l’ère glaciaire. La réalité de cette période s’impose à nous au moment où des glaces qui semblaient éternelles commencent à fondre et menacent de rompre l’équilibre écologique de la planète. Dépassant cette évidence, Franck Dubois et Benoit Pierre s’intéressent à notre rapport au temps, qu’ils perçoivent comme la clef de ce bouleversement climatique.
Le projet de Franck Dubois et Benoit Pierre a pour enjeu de montrer comment l’évolution de notre monde est déterminée par celle de notre rapport au temps. C’est en effet la transformation en profondeur de celui-ci qui caractérise l’histoire de la modernité, perçue comme l’ère de la vitesse. Les deux artistes explorent les multiples aspects de ce changement de paradigme.
L’installation in situ Spin de Benoit Pierre et Franck Dubois constitue l’œuvre centrale de l’exposition. Composée de cinquante kilogrammes de basalte et de vingt-trois carottes de lait gelé, suspendues par un long câble d’acier. A travers elle s’articulent trois temporalités différentes. En évoquant les carottages effectués dans les années 1950 dans les calottes glaciaires du Groenland ou de l’Antarctique pour déterminer la chronologie des variations de la température terrestre moyenne, aussi appelée chronologie isotopique, elle renvoie d’abord à l’ère glaciaire. La seconde temporalité est celle de l’ère industrielle, qui a provoqué le réchauffement climatique et la fonte de la banquise. Enfin, l’œuvre renvoie à la temporalité de l’exposition elle-même, où la chaleur dégagée par le public aura elle aussi une incidence sur la fonte du lait gelé.
« Air glacière » : une réflexion artistique de Franck Dubois et Benoit Pierre sur notre rapport au temps
Sur le mur non loin de l’installation Spin sont accrochées les pièces constituant l’installation Banquises de Benoit Pierre : des tablettes en bois dont les bords dessinent des contours sont partiellement recouvertes de farine de blé formant des bloc qui s’effondrent par endroits, laissant même tomber un peu de poudre blanche sur le sol. Ainsi est évoquée la fragilité de la banquise et les effets qu’a sur elle le réchauffement climatique. Comme le bloc de farine, à la fois si compact et si prompt à se dissoudre, la banquise, d’apparence si solide, peut se fragmenter et disparaître au moindre abaissement de température ou au moindre courant marin. A l’attention que nous devons porter à cette Å“uvre qu’un geste maladroit ou un souffle trop fort pourrait anéantir répond celle que nous devrions porter à la lointaine banquise…
Avec le ready-made rectifié La pelle, Benoit Pierre reprend l’axe thématique de l’exposition, le temps qui passe et les lentes évolutions qui modifient notre existence et notre environnement, en l’appliquant à l’histoire de l’art. L’œuvre est en effet un clin d’œil à l’un des premiers readymades de Marcel Duchamp, la pelle à déneiger qu’il présenta en 1915 sous le titre In Advance Of The Broken Arm. A travers cette pièce, Benoit Pierre interroge l’héritage de Marcel Duchamp : que reste-t-il de son questionnement sur la nature de la création artistique ? En même temps, avec son manche dont il ne reste que des cendres, La pelle de Benoit Pierre symbolise l’évolution de l’industrie autant que celle de la sculpture au XXe siècle, l’outil industriel alors flambant neuf n’étant plus aujourd’hui qu’un souvenir du passé.
Le temps sous toutes ses formes relie l’ensemble des œuvres. L’installation in situ Isflak de Franck Dubois évoque le temps de l’événement tandis que la gravure Air glacière de Benoit Pierre évoque celui de son effacement. Avec la série Geostory de Benoit Pierre, mêlant des pages de manuels scolaires découpées et des dessins, est abordée l’histoire, c’est à dire le temps passé qui a ensuite été retravaillé, formalisé, parfois déformé ou idéalisé. Enfin, avec l’installation The White Car With The Sound Of Its Own Filming, c’est le temps même de la création qui est exploré.