Marc Desgrandchamps
Fragments d’un modernisme aléatoire
Cette nouvelle exposition de Marc Desgrandchamps, à la différence des précédentes, ne fait pas preuve d’unité, mais la diversité des thèmes met d’autant plus en évidence la permanence de certains principes à l’oeuvre.
Il y a ainsi des «revenants» comme la figure du cheval dans la Suite Basserode, résultant d’un échange spatial aux dimensions aléatoires entre les artistes Desgrandchamps et Basserode. «Cela entraîne une perturbation», explique Desgrandchamps, «un écart dans ma pratique, une façon de remonter une autre histoire au sein du montage translucide de mes représentations.»
Et de nouvelles combinaisons dont tels ou tels fragments demeurent reconnaissables pour avoir appartenu à des ensembles bien identifiables dans le passé. Tel ce bout de tissu rouge au décor baroque dont la présence plus ou moins incongrue d’un tableau à l’autre ne répond à aucun usage autre que formel.
Or s’il n’y a pas d’unité thématique, cette exposition admet en revanche un «centre» en posant de manière claire et précise la question centrale du temps. C’est le centre virtuel situé «partout et nulle part» de Nietzsche. Marc Desgrandchamps auteur du titre de l’ouvrage qui accompagne cette exposition — «Fragments d’un modernisme aléatoire» — interroge ici le temps du «modernisme» dont on sait qu’il est précisément le produit d’un monde en crise laquelle, on le constate, est loin d’être aujourd’hui dépassée. Un grand triptyque, présent dans cette exposition, exprime parfaitement cette interrogation, mise à l’oeuvre selon un processus bien précis.
Richard Leydier relève dans son texte l’usage particulier que Desgrandchamps fait de la photographie en préalable à la peinture «comme aide-mémoire et mise en ordre des choses vues (…) un filtre à deux dimensions entre mon regard et le monde. C’est un filtre car il retient toutes les scories du bruit, du vent, de la poussière, de la chaleur ou de l’humide submergeant nos sens quand nous sommes directement confrontés au réel, à la façon dont nous sommes jetés dans la vie (…)».
Une remarque faite un jour par l’artiste lors d’une conversation vient renforcer ce propos. Il avait été frappé à plusieurs reprises, avait-il dit, en regardant des reportages photographiques de guerre (en particulier celle des Balkans) par le fait que les pires exactions commises se passaient sous un magnifique ciel bleu pareil à ceux qu’on voit d’habitude dans les images touristiques. Dès lors, il lui apparaissait qu’un tel ciel pouvait autant signifier une menace que le vol d’un avion de chasse chargé de bombes. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir les deux associés dans un même tableau.
Ce bleu toujours identique et posé en aplat, sans modulations, parfois traversé par des bandes nuageuses blanches et sans relief, passe ainsi le plus naturellement du monde d’un tableau à l’autre. Il marque de sa pétrifiante lumière la moindre scène. Les figures, architectures ou paysages constitués eux-mêmes par l’association de fragments issus de compositions qui remontent parfois à plusieurs années (par exemple des formes de cactus sur fond de montagnes neigeuses) sont plongés dans un univers intemporel où chaque élément, bien que figuratif, devient indéterminé. Un trait d’union efficace entre toutes les parties d’une OEuvre, celle de Marc Desgrandchamps, dont on ressent, par quelque point de vue qu’on la considère, sa «totalité».