Mathieu Pernot
Fragments d’histoires
L’exposition présentée du 19 septembre au 6 janvier 2016 à Vallauris s’inscrit dans la série des invitations faites par les musées nationaux du XXe des Alpes-Maritimes à des artistes contemporains d’exposer dans la chapelle du musée national Picasso de Vallauris. Pensées en résonance avec le chef-d’œuvre de Picasso, La Guerre et la Paix, ces expositions explorent des propositions contemporaines autour du thème de l’engagement.
Les thèmes de l’identité et de la mémoire sont au cœur du travail de Mathieu Pernot. Depuis une vingtaine d’années, son travail documente dans des séries — Roumanie (1998), Portes (2001), Les hurleurs (2001-2004), La ville aveugle (2003), Implosions (2001-2008), Les migrants (2009), La jungle (2009-2010), Le feu (2013) — les franges sociales du monde contemporain. Photographe, il réalise aussi des installations et enrichit sa réflexion sur l’histoire par un travail sur les archives qu’il présente à l’état brut (Un camp pour les bohémiens, 1998-1999) ou passées au filtre de son analyse puis d’une retranscription artistique, (Le grand ensemble, 2006, L’asile des photographies, 2010-2013).
L’exposition est une occasion de donner de la visibilité à ceux qui vivent ou ont vécu dans les marges de notre société tout en s’interrogeant sur les conditions de cette représentation.
Pour Vallauris, Mathieu Pernot propose une installation à partir d’un travail qu’il poursuit actuellement sur le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Le camp militaire de Rivesaltes a été créé en 1875. Au cours du XXe siècle, ses baraquements ont été successivement utilisés pour recevoir les réfugiés républicains de la guerre civile espagnole (1939), interner les victimes du régime de Vichy (1941-1942), et héberger dans des conditions précaires les familles harkis à partir de 1962. Depuis 2007, le camp n’est plus utilisé; les bâtiments abandonnés se dégradent; les murs des baraquements s’écroulent.
Depuis 2012, Mathieu Pernot prélève des fragments de ces murs effondrés pour les exposer dans différents contextes. En remettant ces fragments de mur en position verticale, Mathieu Pernot rappelle leur fonction historique de délimitation et de clôture. Il leur confère aussi une valeur symbolique de «monument», entendu au sens étymologique de «ce qui permet de se souvenir». Ce mur devient une forme d’archive architecturale, qui condense et matérialise une mémoire collective.
Dans le chevet de la chapelle Picasso, Mathieu Pernot a souhaité la présence de cinq photographies de la série des Hurleurs (2001-2004), cinq personnes qui crient pour communiquer avec des membres de leur famille incarcérés. Ils sont placés dans l’abside de la chapelle, tel un chœur dont le cri collectif traverserait et renverserait Le mur de Rivesaltes. La force de ces paroles lancées par-delà les parois infranchissables semble conjurer l’enfermement et l’isolement.
Dans ses photographies et installations, Mathieu Pernot prélève des fragments du réel. Leur réagencement dans le cadre de l’exposition transfigure ces images puissantes dont la force tient à la fois à leur implacable qualité documentaire et à leur force poétique. C’est le cas, en particulier, d’une photographie inédite (Sans titre, Paris, 2009), choisie par l’artiste pour dialoguer avec le chef-d’œuvre de Picasso, La Guerre et La Paix.
Dans la chapelle, Picasso figure avec une puissance inégalée les malheurs de La Guerre. En exposant les fragments des baraquements de Rivesaltes, Mathieu Pernot nous rappelle les conditions de vie des populations civiles confrontées à la guerre et à ses conséquences; dans leur simplicité, leur matérialité, ces murs constituent une image concrète et symbolique des situations d’enfermement.