Sous la forme d’un parcours, une déambulation à peine guidée entre les différentes salles et performances qui s’y jouent, on a pu découvrir le temps de deux trop courtes soirées les « Fragments d’expériences » issus d’une rencontre estivale entre performers : le Skite/Sweet & Tender Collaborations.
Initié par J-M Adolphe, ce « Woodstock de la performance », dont on sent le souffle libertaire habiter chacune des propositions offertes au public, apparaît comme une parenthèse enchantée dans le paysage chorégraphique. Douceur des vacances … Instant précieux de la rencontre fortuite et peut-être sans lendemain, de l’activité onirique où l’imaginaire et le désir sont rois : avec eux on se prête à rêver la performance du futur, à ce qu’elle pourrait être aujourd’hui, à l’importance de ce qui se formule ici même, maintenant.
Réflexion déployée pendant presque quatre heures de danse, de vidéo, de chant, ou de performance, ce qui fait l’enjeu du spectacle vivant est avant tout magistralement mis en scène par la pièce de Maguy Marin et Denis Mariotte, qui vient s’ajouter au compte-rendu des rencontres portugaises.
Avec Ça quand même, duo qui fait figure de hold-up ou de joyau, on assiste à quelque chose de puissant, dont on ne peut simplement décrire le contenu. Cela se passe « entre ». Entre chaque personne présente, entre l’audience et les performers, entre les spectateurs. Entre les voix off qui courent et se chevauchent l’une l’autre, et ce qui a lieu sur scène. Entre les corps et les costumes, les décors, les re-présentations de corps (dizaines de répliques de Maguy Marin et Denis Mariotte qu’ils disposent peu à peu sur scène), entre les regards, mais aussi entre deux états presque semblables, entre le début et la fin d’un simple geste du bras. Il se dégage de ces éléments éparses un sentiment de gravité solennel qui peu à peu envahit l’espace et la perception du temps. C’est le sentiment commun d’assister à un MOMENT, à quelque chose d’imperceptible mais d’historique … ou pas. C’est sans importance, c’est à nous, c’est déjà passé, c’est à recommencer.
Autour de cette magnifique invitation au spectacle, les propositions des jeunes créateurs du Skite/Sweet & Tender se font nombreuses, et souvent pour le meilleur.
Ainsi, Battement de David Wampach procède à l’exploration d’un simple geste, le « battement » de jambe, qu’il utilise comme une syllabe ou un phonème. Dégagé de tout vocabulaire ou grammaire chorégraphique, le battement devient la base d’une langue morse, qui peu à peu se teinte de sentiments, de qualités de mouvement, pour aboutir à l’élaboration d’une forme de séquence théâtrale et tragique entre trois personnages. On est interpellé par la force théorique de l’entreprise, à la hauteur du résultat esthétique.
On remarque aussi l’intense Masculinity, solo composé par Chris Leuenberger et Min Kyoung Lee, qui file à un rythme frénétique, comme en transe, des postures et des gestes identifiés comme appartenant à l’univers masculin. Mouvements sportifs, travaux des champs, travaux mécaniques, postures sexuelles … tout s’enchaîne et se répète comme dans un film de Malcolm Le Grice, exacerbant la violence intrinsèque et les lignes de forces communes à tous ces gestes. Peut-être le moment le plus physique de la soirée.
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— Artistes divers, Fragments d’expérience I
— Maguy Marin et de Denis Mariotte, Ça quand même.
— Artistes divers, Fragments d’expériences IIÂ