Ulrich Polster, né en 1963 en RDA (à Frankenberg), aura connu deux univers.
Élevé dans l’enceinte hermétique d’une Allemagne de l’Est figée au-dessus d’une mémoire révolutionnaire hors du temps, il lui a encore fallu traverser la joie et la désillusion mêlées de toute une génération qui rêvait de l’autre monde comme d’un paradis.
Nous mesurons sans doute mal, de notre côté de l’histoire, en quoi l’anéantissement du mur et l’ouverture sur l’Occident auront conjugué la rupture historique à une multitude de déconstructions individuelles. Tout autant qu’une découverte vivifiante, c’est également l’effondrement d’un monde et de toutes ses structures qui se sont engouffrés dans cette brèche.
Ulrich Polster ne cesse de mettre sous nos yeux cette fissure qui court depuis l’Histoire commune jusqu’à l’histoire intime.
Les trois films de Fragment I, synchronisés dans un dispositif horizontal, reprennent la grammaire visuelle de l’artiste. La guerre officielle de la course au pouvoir s’y conjugue à une querelle officieuse entre les sexes, exposant au grand jour la violence dont sont porteuses les images, toutes les images. Dans trois cadrages juxtaposés, les pieds de trois duos s’approchent, se cherchent, se frôlent, puis s’attaquent jusqu’à la déstabilisation et l’effondrement de l’un des partenaires.
Deux hommes, deux femmes, un homme et une femme : trois couples génériques éprouvent l’impossible rencontre de l’Autre.
Depuis son poste d’observation, le spectateur assiste impuissant au cours ordinaire des choses, à la dynamique conflictuelle du monde, happé par une valse hallucinogène qui le promène entre public et privé, offensive et feinte, aveu et mensonge, désir et haine, sans que jamais cette danse infernale ne trouve son terme.
La fragmentation de la réalisation permet seule au spectateur de reprendre son souffle, en glissant d’une scène de guerre dans une scène d’approche, sans pour autant autoriser un véritable décrochement du regard. C’est alors, comme dans un second degré de l’œuvre, la même tension entre désir, capture et neutralisation qui se révèle, mais cette fois mise en jeu entre le spectateur et l’image.
Poursuivant la variation autour de l’articulation entre conflit ouvert et guerre secrète, Fragment II conjugue les jambes d’un homme à celles d’une femme, autour des pieds d’une chaise. Véritable métaphore de la stabilité tant d’un pouvoir que d’une intimité, la chaise ne cesse de se dérober à sa mission d’installation rassurante. À l’inverse, opérant comme une arme de combat, elle oscille entre invitation au repos et piège se dérobant au dernier moment.
D’effondrements en rétablissements, les deux protagonistes sont enfermés dans la boucle de ce heurt permanent, qui les unit tout en les séparant.
Singulière dans sa mise en œuvre immobile, un vidéostill sans titre synthétise l’ensemble de l’exposition. Citation d’une pièce antérieure, un poing fermé est saisi par une main qui tente de l’ouvrir en le caressant.
Toutefois, en abandonnant le mouvement, la vidéo ne révèle pas l’addition de photogrammes cinématographiques, mais une saisie ininterrompue du temps. Si bien que cette pièce se présente comme le fragment d’une tresse sans fin, tresse de nos conflits et de nos réconciliations, tissage de ce qui nous lie les uns aux autres, autant que de ce qui nous sépare.
Ulrich Polster
— Fragment I, 2004. Vidéo. 31’.
— Fragment II, 2004. Vidéo. 11’.