Valérie Favre
Fragments
Valérie Favre peint des scènes où figurent des lapins, des idiots, des cafards ou des suicidaires, protagonistes inhabituels, autrement abandonnés par une économie de l’attention fixée sur le visuel et l’efficacité. Valérie Favre peint des antihéros dans les coulisses de l’époque post-démocratique.
Le style de Valérie Favre est expérimental et construit en structure ouverte, tant en ce qui concerne la gamme des techniques de peinture qu’aux options narratives proposées au spectateur pour explorer les mondes visuels dans un contexte aussi bien historique que contemporain. Le travail du peintre est cohérent au sens où chaque Å“uvre, issue d’un long processus de travail sur l’expansion de la surface et la réduction de l’espace, est intégrée au contexte et au fond thématique de l’entièreté de la production, et que cet arrière-plan est rappelé dans chaque Å“uvre prise individuellement.
Les travaux de Valérie Favre sont souvent réalisés de manière sérielle, tel Selbstmord. Des toiles de petit format carré montrent des suicides réalisés de différentes manières, certains réels, d’autres entièrement inventés. Le saut de la grande roue, la balle dans la nuque, le sèche-cheveux dans la baignoire… une encyclopédie sur les moyens de se prendre la vie, dans une palette réduite aux tons jaunes, bleus, gris et noirs. Le maniement artistique de la figure, la forme, les brisures et les répétitions permettent un détournement intensif de la surface de l’image, évoquant une transfiguration kafkaïenne des figures.
La nouvelle série de Valérie Favre s’intitule Fragments, basée sur la même technique que les peintures Balls and Tunnels, qui sont eux réalisées une fois par an, et fait le lien avec sa nouvelle série de peintures «noires». Balls and Tunnels est un ensemble de compositions à l’encre et à l’eau de grand format, où le dégradé de couleurs ne se fait pas de façon délibérée mais est dicté par l’application, la distribution et le séchage de l’encre. Si Balls and Tunnels acte, à la manière d’un journal annuel, de l’interruption et de la césure dans la vie de l’artiste, ainsi que d’une halte dans le flux du travail, la nouvelle série est consacrée à l’autre vaste antipode en l’histoire de l’art: la question de la construction de l’espace en peinture.
Temps et espace imprègnent la toile comme la vie. Le titre Fragments esquisse déjà le dilemme fondamental de la peinture: une Å“uvre aspirant à la complétude restera inachevée et fragmentaire, à l’aune de l’exigence totalitaire de l’art. Chaque peinture fait partie d’un projet beaucoup plus grand, potentiellement infini et inatteignable. La peinture, telle que Valérie Favre la conçoit et la met en Å“uvre, est une construction intellectuelle et de l’ordre de la pensée.
Les grandes questions de la peinture sont le sujet de Valérie Favre. Elle conduit un discours tant sur les limitations que sur les perspectives d’un médium dont la légitimité est apparue sur de longs siècles, aussi bien par une série d’innovations formelles qu’au cours de réajustements intellectuels successifs. La série Fragments de Valérie Favre nous enseigne que ce n’est pas par l’accumulation de la couleur sur la toile — qu’il s’agisse de compositions abstraites ou de scènes figuratives — mais par des stratégies de retrait de la couleur, de la narration et des techniques que le mystère de la peinture survient.