Jean-Baptiste Sauvage
Fortune Teller
Quelle est la part de théâtralité dans une exposition ou dans un concert? S’il est possible d’établir un parallèle entre la figure romantique de l’artiste et celle du rockeur, Jean-Baptiste Sauvage nous propose une installation qui met à nu la construction de cette mythologie. L’espace si singulier de la galerie Art Cade — des anciens bains publics installés autour d’une cour triangulaire — est transformé et la cour devient une sculpture blanche stroboscopique. Nous glissons alors dans un univers cinématographique où l’agressivité des flashs dessine les ombres portées d’une végétation luxuriante sur la baie vitrée. Un cinéma primitif d’ombres et de lumières qui évoque une jungle où se tiendrait une rave secrète, renouant avec le rituel, la transe et la dimension anthropologique de la musique.
L’élément clé de ce décor est toutefois la bande sonore: un son abstrait, presque animal, de cris suraigus qui forment une boucle répétitive et transforment le «white cube» en lieu du crime. Entre le concert, le cinéma d’horreur, la manifestation politique ou le massacre, c’est une atmosphère anxiogène qui contamine le contexte normé de la galerie. Le titre de l’exposition, évoquant la figure des diseuses de bonne aventure, fonctionne alors comme un piège.
«Fortune Teller» évoque l’histoire d’une supercherie: il s’agit d’un titre des Rolling Stones qui intègre l’un de leurs albums les plus ubuesques, Got Live If You Want It! (1966), un live bricolé, un pur produit de maison de disque qui a quasiment été renié par le groupe. Le titre Fortune Teller a été joué en studio avant que le label y surajoute des cris de fans préenregistrés. En choisissant d’utiliser uniquement la piste sonore des cris des fans, Jean-Baptiste Sauvage tourne son attention sur la fabrication des idoles, la mise en scène du public comme machine à susciter du mimétisme. Quelle est la part de vrai et la part de jeu dans l’enthousiasme collectif? De quelle façon les techniques d’enregistrement ont-elles changé nos rituels de célébration?
Une noirceur se dégage de l’ensemble malgré cette lumière aveuglante. Les cris des fans sont-ils des cris de joie ou de frayeur? Il surgit l’évocation de ce fameux concert des Stones à Altamont, souvent évoqué pour signaler la fin de la période «flower power» où un fan a été tué par les Hell’s Angels, responsables du service d’ordre. Les vitrines de vieux musée, aux fonds rouge sang, disposées au sol de la galerie seraient elles des tombes pour une certaine mythologie libertaire du rock? Cette mythologie a-t-elle été remplacée par la techno et la culture des raves, où l’ampli fait figure d’objet de culte, de totem tribal devant lequel se fait directement le rite de la danse, sans l’intermédiaire des musiciens idoles?
L’artiste a choisit de se placer en contrechamp, dans l’avant ou l’après d’une performance, dans un entre-deux, cherchant à capter l’électricité dans l’air avant l’orage. Du «white cube» à la rave dans la forêt, c’est tout un langage emprunté aux rituels primitifs qui est évoqué. De cette façon, Jean-Baptiste Sauvage rend sensible l’artifice de tout espace scénique, que ce soit une salle de concert ou une galerie.
Vernissage
Mercredi 15 octobre 2014 Ã 18h30