A l’entrée de la galerie, ce n’est pas encore notre regard qui est sollicité pour découvrir les œuvres de Liu Wei, mais c’est bien plutôt notre odorat, étonnamment, qui est le premier sens à s’éveiller. Une délicieuse odeur de bois et de colle nous enivre doucement la tête, alors que l’on se dirige vers un espace totalement chaotique, saturé d’immenses sculptures représentant des pans de villes ou des plans de quartiers.
Et, à notre grande surprise, ces masses sculptées ne sont pas présentées de manière «traditionnelle», c’est-à -dire via des maquettes horizontales qui se succèderaient. Car la série Library expose ces colossales sculptures de façon verticale, parfois, ou même de biais. En effet, les œuvres sont fixées sur d’imposantes structures faites de tubes métalliques, de barres en fer et de planches de bois, qui permettent de les incliner librement, et de proposer de ce fait des perspectives fort originales, voire carrément renversantes, sur les plans de ville que Liu Wei aura créés.
Par là , notre perception de l’urbanisme s’en trouve chamboulée. Nous n’avons plus du tout affaire ici à des maquettes bien ordonnées et policées, qui se laisseraient platement contempler. Les sculptures à la verticale, par exemple, pointent vers nous leurs hautes tours comme des épées, et nous nous retrouvons quelque peu coincés au milieu de toutes ces structures, d’où jaillissent mille immeubles et buildings.
Ainsi, ces œuvres nous font fortement ressentir l’aliénation des mégapoles chinoises et leur croissance incontrôlable, où les barres poussent comme des champignons. La ville est alors comprise comme l’objet d’une angoisse et d’un sentiment d’oppression permanent. Impossible de s’en échapper. On est comme cernés, perdus au milieu d’une densité urbaine féroce.
Nous aurions donc l’impression d’être égarés dans des villes futuristes saturées de réseaux et de lugubres dédales, immenses vaisseaux chavirés, échoués, nous projetant dans un roman d’anticipation.
D’ailleurs, il est tout à fait remarquable de noter que les installations de Liu Wei sont composées à partir d’ouvrages scolaires chinois qu’il aura compressés, collés ou agrafés pour former ces immeubles urbains. On y perçoit en effet des signes en mandarin, et les livres sont striés pour donner l’aspect de façades, ou de différents étages scandant l’immensité des tours.
De plus, les plans sont recouverts de papier aggloméré et d’une épaisse couche de poussière grise, comme une pellicule de pollution, servant à lier les livres-buildings entre eux, dont les plus imposants sont bâtis autour de tiges en métal et surplombés d’un gros écrou.
Face à cet univers foisonnant et agressif faisant écho à la croissance démesurée de la Chine, les murs de la galerie présentent une série de tableaux intitulée Colors. Un point de vue plus contemplatif et apaisé sur la ville, comme si l’on observait l’étalement urbain depuis notre fenêtre, en haut d’un building. Colors présente en effet des silhouettes d’immeubles et d’architectures à travers une vision quadrillée. Ces compositions faites de blanc, de gris et de noir, représentent des lignes d’horizon, comme s’il était possible, finalement, de dépasser l’aliénation urbaine, ses angoisses, et sa violence sans nom.
Å’uvres
— Liu Wei, Vue de l’exposition «Foreign», Galerie Almine Rech, 2012
— Liu Wei, Exotic Lands n°6, 2011. Porte, bois, acier inoxydable. 223 x 127 x 5 cm
— Liu Wei, Colors No.4, 2012. Huile sur toile. 220 x 180 cm
— Liu Wei, Library No.1, 2012. Livres, bois, acier. 270 x 150 x 120 cm
— Liu Wei, Library No.4, 2012. Livres, bois, acier. 235 x 170 x 115 cm