Dexter, Les Sopranos, In treatment, Six Feet Under, The Wire, Breaking Bad, Nip/Tuck,… on n’en finit plus d’énumérer les séries ayant intégré le Panthéon du genre. Originellement pauvres, leurs scénarios sont de plus en plus originaux et complexes, toutes sortes de milieux sont explorés, les anciens tabous sont levés, le traditionnel manichéisme est remplacé par une réelle ambiguïté des personnages.
Mais ce sont là semble-t-il leurs seules qualités. Elles suscitent l’intérêt, la curiosité, on les suit pour découvrir «ce qui va se passer» entre tel et tel personnage, comment un ou plusieurs héros vont se dépatouiller d’une situation. Le plaisir et l’émotion proviennent de ce que l’on finit par «savoir», par «connaître»: un secret, une solution à un problème. Tout tient à l’intrigue racontée, l’ensemble des moyens mis en oeuvre –photographie, montage, son, etc.– sert à dérouler au mieux le «drame» et le «propos».
Aussi, bien que la mise en scène des séries ait considérablement changé – on est désormais bien loin du théâtre filmé de Notre belle famille ou de Friends –, elle n’en reste pas moins secondaire. Au mieux elles emballent leurs histoires dans des formes empruntées au cinéma, au pire elles optent pour un style transparent, au montage et aux plans fluides, qui éclipse les moyens cinématographiques en faveur d’une lisibilité accrue de la narration.
En cela les séries s’apparentent davantage au cinéma classique hollywoodien qu’à la modernité cinématographique. Focalisées sur le scénario, elles relèvent de «l’image-mouvement» –une logique discurisve fondée sur l’enchaînement rationnel et nécessaire d’actions– davantage que de l’«image-temps» d’un Antonioni, d’un Tarkovsky, d’un Wenders ou encore d’un Gus Van Sant, dont les films déplient un temps affectif, une logique de la sensation. De manière paradoxale, bien qu’elles se déploient dans le temps, les séries ne font pas de ce dernier leur sujet, il n’est qu’un moyen au service du « drame ».
Bref, l’intrigue est indubitablement le principe régulateur des séries. Rien n’est gratuit, chaque plan, tout montage sert le propos et le bon déroulement de l’histoire. Aucune image, aucun changement de rythme ou mouvement de caméra ne viennent densifier ou opacifier ce qui est raconté; aucun dialogue ne se crée entre le dicible (la narration) et le sensible (les moyens) en vue d’un sens sensible, c’est-à -dire d’un affect qui soit une manière de «réfléchir» le monde.
Le principal défaut des séries est donc leur manque d’opacité et de résistance face aux mots, c’est-à -dire de sens esthétique, cette intuition qu’un indicible se lève. La preuve en est qu’une série ne peut être visionnée deux fois, n’ayant plus d’intérêt lorsque sa résolution est connue.
Une seule série semble échapper à l’écueil du genre: Twin Peaks. C’est que David Lynch est parvenu à conjuguer une intrigue forte, «qui a tué Laura Palmer/qui est Bob», à une opacité indéfectible. Sans doute parce que le nÅ“ud narratif de sa série est «celui» de l’inconscient, des pulsions incestueuses et de l’horreur qu’elles suscitent. Un sujet sensible et irrationnel en lui-même.
Lire :
— Vincent Colonna, L’Art des séries télé. Ou comment surpasser les Américains, Payot, Paris, 2010.
— Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, Ed. de Minuit, Paris, 1983.
— Gilles Deleuze, L’Image-temps, Ed. de Minuit, Paris, 1983.
— Les Cahiers du cinéma, n° 658, juil.-août 2010.