L’art peut-il encore servir une expérience du sacré? Contre toute visée anecdotique ou purement spéculative, Delia Gonzalez et Gavin Russom renouent avec cette dimension aujourd’hui négligée de l’art: avec «For I Was Like One Dead, Like A Small Ghost, A Little Cold Air Wandering And Lost», la galerie Jousse Entreprise, repeinte en noir pour l’occasion, est transformée en espace rituel pour adeptes des forces occultes.
Pour exploiter les effets émotionnels et spirituels de la musique et de l’architecture, les deux artistes américains ont érigé un sanctuaire d’une austère simplicité: quatre colonnes délimitant un rectangle; au milieu, deux fontaines (sans eau); à l’une des extrémités du rectangle, une arche rehaussée et sertie de néons, dont la lumière scintille sur le formica noir et poli de chacun de ces éléments.
Deux amplis installés dans les fontaines diffusent une musique envoûtante pour synthétiseurs, composée par les deux artistes. L’ensemble est censé exercer un pouvoir hypnotique.
Par leur géométrie et leur rigorisme formel, qui ne sont pas étrangers à l’intérêt des deux artistes pour l’architecture nazie et sa puissance d’extase, ces éléments architecturaux sont repris dans un cadre minimaliste qui doit faciliter la communication du spectateur avec des puissances parallèles et surnaturelles. La reprise ou, si l’on préfère, le détournement de la terreur associée à ce style architectural, se fait donc dans une visée qui n’est ni idéologique ni politique mais expérimentale et religieuse.
Le titre de l’œuvre est inspiré de l’opéra Orfeo de Luigi Rossi, créé en 1647, l’arche évoquant le passage vers le royaume des morts. Non sans ambiguïté: car peut-être les morts sont-ils moins le peuple de la nuit que les vivants fantômes de notre monde désenchanté.
Des œuvres graphiques et un objet également présentés sont , comme l’installation, un mélange de géométrie et d’irrationnel, une activation d’un pouvoir spirituel des objets.
Dans le dessin de Gavin Russom, des arches rectangulaires sont alignées selon une perspective un peu bouleversée, et traversées par des silhouettes de chevaux, comme une puissance de désordre au sein de ce qui s’apparente à un ordre architectural. Les trois dessins vernis de Delia Gonzalez (Cloudbursting) associent rigueur géométrique et formes végétales connotant l’irrationnel et l’onirique.
Enfin, une grappe de raisin aux grains cousus de paillettes violettes (Dionysos) rappelle l’intérêt des deux artistes pour la culture disco, détournée ici, comme l’architecture de l’installation, dans une visée quasi religieuse: le scintillement de la lumière sur les paillettes serait peut-être l’expression contemporaine du délire dionysiaque.
English translation : Begum Boré
Delia Gonzalez et Gavin Russom :
— Dionysos, 2006. Grappe de raisin, paillettes violettes cousues.
— For I Was Like One Dead, Like a Small Ghost, a Little Cold Air Wandering And Lost, 2006. Installation. Formica, aluminium, dispositif électronique, bafles, MDF.
— Cloudbursting , 2006. Aquarelle, stylo à l’eau, crayon, pastel, vernis damar sur papier. 85 x 67 cm.